Complots et cabales
souverain compatissant, une gloire qui retentissait dans toute l'Europe et qui glorifiait, tout autant, la ténacité du vainqueur que l'héroÔsme du vaincu. Et pourtant, à peine de retour en Paris, et acclamé par tout un peuple, le roi et son génial ministre sentirent se mouvoir dans l'ombre, aspirant à les séparer, les artifices des " Princes des Prêtres ". Déjà, au cours du siège, Richelieu avait soupçonné l'approche lente et sournoise de leurs tortueux desseins.
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Plaise à toi, lecteur, de me permettre de revenir en ce récit de quelques mois en arrière, c'est-à-dire au moment o˘ achevant d'élever les redoutes qui entouraient La Rochelle, le roi et le cardinal envisageaient déjà de construire la fameuse digue pour barrer à l'Anglais l'entrée du port.
qui e˚t cru que le venin des dévots aurait de prime pris la forme innocente et naÔve d'une lettre du cardinal de Bérulle à Richelieu ? ¿ la pique du jour, tous les matins je me présentais à Pont de Pierre à Richelieu, bien assuré qu'il aurait quelque mission à me confier. Ce jour-là, Richelieu, la mine songeuse et ruminante, me tendit une lettre, et me dit .
- D'Orbieu, voici une lettre que m'envoie le cardinal de Bérulle, lisez-la et dites-moi ce que vous en pensez.
Je la parcourus aussitôt, et mon étonnement, puis ma stupéfaction croissant à chaque ligne, je la relus pour être assuré de ne m'être point trompé. Je regrette fort ce jour d'hui de n'avoir pas eu le temps de l'apprendre par coeur, mais si je ne peux en garantir le mot à mot, je suis bien assuré de son contenu: Bérulle confiait au cardinal qu'il avait eu, au sujet de La Rochelle comme auparavant au sujet de l'île de Ré, une révélation du Très Haut: la ville tomberait comme un fruit m˚r entre les mains du roi. Il était donc inutile de construire toutes ces redoutes, et moins encore cette ruineuse digue. La ville tomberait de soi.
- Eh bien, d'Orbieu, qu'en pensez-vous ? dit Richelieu.
- que c'est là, Monsieur le Cardinal, une lettre bien étonnante. Peux-je quérir de vous si vous avez demandé àMonsieur de Bérulle de préciser l'heure et le jour de cette miraculeuse capitulation ?
- Je l'ai fait, en effet, par deux fois, dit Richelieu. Et la deuxième fois, le cardinal m'a répondu que la révélation ne précisait pas la date...
- C'est donc, Votre …minence, une révélation incomplète... Et d'autre part, si c'est le Seigneur qui décide du moment o˘ il va déterminer la chute de La Rochelle, il va sans dire, Monsieur le Cardinal, que ni Sa Majesté, ni vous-25
même, ni les maréchaux, ni les soldats n'auront dans l'affaire le moindre mérite.
- C'est, en effet, dit Richelieu, l'aspect un peu déplaisant de cette révélation. Avant même que de vaincre, notre gloire est déjà rabaissée.
- Il se peut aussi, dis-je, que Monsieur le cardinal de Bérulle pense que le siège de La Rochelle est inutile, et qu'il vaudrait mieux s'en prendre à
l'Angleterre, véritable bastion du protestantisme en Europe...
- Il est probable, en effet, qu'il pense cela, puisqu'il recommande l'inertie devant La Rochelle, mais cela n'est pas dit dans sa lettre.
Monsieur d'Orbieu, je vous remercie de vos remarques. je les répéterai à Sa Majesté en même temps que les miennes. Il est toujours un peu déquiétant de porter un jugement sur un ami dont on a beaucoup aidé l'avancement, et qui paraît s'éloigner de vous. C'est pourquoi votre avis m'a été utile.
Au sortir de cet entretien, retrouvant Nicolas et nos chevaux, je me ramentus tout soudain que j'avais invité àdîner le docteur médecin chanoine Fogacer, que déjà il nous attendait sans doute à Brézolles, et je pressai ma monture autant que je pus pour gagner le ch‚teau. Et, en effet, Fogacer était là, grand, mince, arachnéen, ayant bras et jambes fort longs, le cheveu blanc, le sourcil mince et noir et, quand il s'égayait, relevé vers ses tempes, tandis que sa large bouche s'élargissait en un lent et sinueux sourire : ce qui lui donnait un air quelque peu diabolique, lequel correspondait en ses jeunes années à quelque réalité, étant alors bougre et, athée, mais la Dieu merci, n'était plus meshui qu'une apparence, puisqu'il avait renoncé à ses moeurs sodomiques et à sa mécréance pour entrer dans les ordres.
Madame de Bazimont, qui l'adorait, l'avait accommodé, en attendant mon retour, dans un petit cabinet d'un flacon de vin d'Aunis et de quelques friandises de
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