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Crucifère

Crucifère

Titel: Crucifère Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: David Camus
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filet d’air chaud dans l’atmosphère empuantie des marécages. C’était la bonne décision. Elle en était certaine. « Pas d’autre solution, pour retrouver ma tante, que d’imiter mon père… »
    — Et pour le reste, dit-elle, je m’en remets à tous les dieux, connus et inconnus. Amen !
    Simon avait déjà ramassé plusieurs champignons, lorsqu’il se rendit compte que Cassiopée n’était plus là. Où se trouvait-elle ? Il repéra son armure, abandonnée au pied de la curieuse coque de navire qui montait jusqu’aux cieux. S’approchant de l’armure des Crevisses, il eut un choc : elle était vide !
    Où était Cassiopée ?
    Tournant sur lui-même aussi rapidement que sa lourde armure le lui permettait, il ne vit pas venir le premier coup – qui le propulsa à terre. Cassiopée était juste au-dessus de lui et soulevait ce qui ressemblait à un tuyau d’orgue. À genoux, il fut incapable d’esquiver le deuxième coup – qui fracassa la visière de son casque, y laissant pénétrer l’air vicié des marais.
    — Sois maudite ! hurla Simon.
    Cassiopée tourna autour de lui, trop leste pour qu’il puisse l’attraper ou lui échapper, et lui flanqua un vigoureux coup de pied entre les omoplates pour le faire plonger, tête la première, dans la boue.
    Quand il cessa de bouger – était-il mort, assommé ? –, elle se détourna de lui, et s’enfonça dans les marécages, entrant jusqu’à la taille dans l’eau boueuse.

63.
    « Je vois un spectre qui monte de la terre. »
    (I Samuel, XVIII, 13.)
    Cassiopée passa près d’hommes et de femmes métamorphosés en arbres, genoux pressés contre le corps – mornes vies repliées sur elles-mêmes. Une femme à la chevelure de liane, à la peau comme un tronc, fixait les marécages de son regard vide. Une autre avait le menton baissé sur la poitrine, où s’accrochait un nourrisson. Aucune tendresse, aucune horreur, aucune peine ne se lisait dans son attitude. C’était un spectre, un fantôme sans âme – un vague végétal, qui se contentait de durer.
    « Ces marécages ont englouti, lui avait dit Gargano, des armées entières. Tant d’êtres y ont péri que seule Mnémosyne, la déesse de la mémoire, saurait énumérer les noms de toutes ses victimes. »
    Elle fit un pas, puis deux dans cet affreux tableau. S’accroupit en tremblant, apeurée mais déterminée. Caressa l’eau de feuilles vertes où se noyaient des reflets d’arbres dont les branches pleuraient au-dessus de sa tête, comme autant de silhouettes penchées sur sa tombe.
    Petit à petit, sa peur se dissipa. S’ouvrant à ce monde où même le temps était mort, elle regarda les papillons voleter dans des rais de lumières. De la poussière – ou de la cendre ? – s’échappait de leurs ailes, et tombait dans les marécages – parmi les champignons. Elle ouvrit sa poche de ceinture, y piocha un petit champignon et le considéra. Sa chair d’un blanc d’ossement semblait onctueuse, et son odeur – qui rappelait celle des mousses, après l’ondée – réveilla en elle des souvenirs d’enfance. Cassiopée enfant, habillée en garçon. Elle court dans un pré, où elle rit à gorge déployée. Tellement heureuse d’être enfin dehors, après toutes ces heures consacrées à l’étude de vieux ouvrages poussiéreux. Chrétien de Troyes sort à son tour de l’abbaye. Il n’a pas l’air content. « Reviens ici, petit fripon ! »
    Mais Cassiopée ne l’écoute pas. Elle est toute à sa joie de courir, et dans sa course trébuche sur une pierre. Le capuchon de sa robe de bure lui tombe sur les épaules, et laisse échapper ses cheveux – fleur châtain qui s’épanouit au soleil. « Mais c’est une fille ! » s’indignent les moines occupés à battre les foins. « Que fais-tu à l’abbaye ? » Regards gênés de Chrétien de Troyes. Cassiopée se recoiffe du mieux qu’elle peut. Pourquoi ne s’est-elle pas coupé les cheveux ? Elle aurait dû écouter sa mère… Maintenant, il va lui falloir partir, loin, très loin d’ici. Dans un autre pays. À Constantinople.
    Ces souvenirs, combien d’années ont-ils ? « Sont-ils seulement les miens ? » se demande Cassiopée. « Ou ceux d’une autre ? Ceux d’une enfant insouciante qui ne savait même pas que, quelque part, un père l’attendait. »
    Ce père dont elle ne s’était jamais sentie aussi proche. Comme si les marais avaient conservé la trace de sa venue, plus

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