Crucifère
Prologue
« Je ne mourus pas, et je ne restai pas vivant : juge par toi-même, si tu as fleur d’intelligence, ce que je devins, sans mort et sans vie. »
( DANTE , L’Enfer .)
Lieu indéterminé, date indéterminée
Emmanuel s’éveilla, couvert de contusions, le dos et les épaules meurtris. Il ne sentait plus ses membres, et son torse n’était plus qu’une immense douleur. Il tenta de pousser un cri, mais ne put rien articuler. Il voulut bouger la tête, mais son cou ne lui obéissait pas. Cherchant à saisir son épée, il ne put remuer le bras. « En ai-je seulement encore un ? »
Il regarda autour de lui.
« Où suis-je ? »
Dans la pénombre d’une grotte, sur la berge d’un fleuve. Serait-ce l’Achéron, que les morts traversent pour entrer au royaume des Ombres ? Emmanuel se trouvait en partie sur sa rive. Seuls ses mollets baignaient dans l’eau.
« Mais je ne sens rien ! Que m’arrive-t-il ? Je n’ai ni chaud ni froid, ni faim ni soif, seulement atrocement mal… »
Il essaya d’appeler à l’aide, en vain. Sa langue restait collée à son palais. « Du calme », se dit-il. « Essaie de te rappeler ce qui s’est passé… »
Il ferma les yeux, tâchant par un effort de volonté de se remémorer ses dernières heures. Il vit un mystérieux cavalier noir au torse emmailloté de chaînes, monté sur un immense destrier de couleur rouge. Le cavalier le menaçait de sa puissante épée bâtarde, et il était accompagné de moines soldats, brandissant lances et épées longues.
« Les Templiers blancs ! Ils s’étaient alliés aux Assassins, dans le but de… »
Mais sa mémoire ne lui fut d’aucun secours. Il ne parvenait pas à rassembler ses esprits. Soudain, son cœur se mit à palpiter douloureusement. S’il avait pu, il aurait porté la main à sa poitrine, mais il ne réussit même pas à bouger un doigt. Baissant les yeux, il vit qu’il était nu. « Où est mon armure ? Mon épée ? »
Il regarda de droite et de gauche autant qu’il lui était possible. « Où est mon cheval ? » Cherchant à percer l’obscurité de la caverne où il gisait, il entrevit un paysage désolé. Un mélange de ruines, de roches éboulées et de palmiers brisés l’entourait. Dans la lumière sépulcrale de la grotte, les palmiers semblaient blancs. Sans doute étaient-ce de très vieux arbres, décolorés par les ans. Finirait-il ainsi, aussi livide et sec que ces troncs décharnés ? « Le fleuve m’a rejeté, je suis aux portes de l’Enfer. Mais qu’ai-je fait pour mériter ce sort ? »
Dressant l’oreille, il écouta l’eau s’écouler dans un calme que rien ne troublait, sinon son propre sang battant à ses tempes. « Au moins suis-je toujours en vie… » Scrutant les bâtisses effondrées, il distingua un amas de décombres noircis par les flammes, ainsi qu’un reste de façade – et partout des colonnes renversées. Dans l’air flottaient des odeurs d’excréments, de poussière et d’humidité.
« Serait-ce la tanière d’un animal sauvage ? Je dois sortir d’ici ! »
Il perçut un frôlement indistinct, juste derrière lui. Du coin de l’œil, il vit une main s’avancer vers son front. Une petite et très vieille main, toute fripée, presque aussi blanche que les palmiers. On aurait dit une araignée à cinq pattes.
« Par la Vierge Marie ! »
La main tenait une serviette imbibée d’eau, qu’elle lui pressa sur le visage. Quelques gouttes ruisselèrent sur son front en une ondée réconfortante.
« Ça fait du bien. Merci, qui que vous soyez. »
Une fois encore, la main pressa le linge. Emmanuel tenta d’ouvrir la bouche. À sa grande surprise, ses lèvres s’entrouvrirent et il sentit sur sa langue – « Dieu soit loué ! » – la caresse liquide.
Il se revit tomber dans le fleuve.
Une chute de plusieurs battements de cœur, incroyablement longue. Son cheval et lui, soudés jusqu’au moment du choc, s’étaient séparés en heurtant l’eau. Prisonnier de sa cotte de mailles, Emmanuel avait sombré de son côté, pendant que sa monture s’éloignait, emportée par les flots rougissants.
Et tandis qu’il coulait à pic dans ce qui était apparemment un fleuve sans fond, Emmanuel s’était senti saisi par les bras et les jambes. « Des néréides ? » Ces nymphes de la mer étaient en effet réputées avoir tour à tour sauvé, ou perdu, bien des naufragés. « Sainte Mère de Dieu, que j’ai
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