Dans le jardin de la bête
nations mineures, parmi lesquelles des ministres de Haïti, du Siam et de Perse. S’y trouvaient également les responsables du protocole, sténographes, un médecin et un groupe armé de Sturmtruppen. C’était le train à bord duquel auraient dû se trouver Dodd et les ambassadeurs de France, d’Espagne et de Grande-Bretagne. Au départ, les Allemands avaient prévu quatorze wagons mais, comme les messages d’excuses se succédaient, ils réduisirent ce nombre à neuf.
Hitler se trouvait déjà à Nuremberg. Il était arrivé le soir précédent pour une cérémonie de bienvenue, chaque moment étant chorégraphié avec précision, jusqu’au cadeau qui lui fut remis par le maire de la ville : une célèbre gravure d’Albrecht Dürer intitulée Le chevalier, la mort et le diable 32 .
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M ON SOMBRE
SECRET
M artha était enchantée par chacun de ces divertissements qui lassaient tellement son père. En tant que fille de l’ambassadeur américain, elle possédait un prestige instantané et se trouva immédiatement courtisée par des hommes de tous rangs, âge et nationalité. Son divorce avec son mari banquier, Bassett, n’était pas encore prononcé, mais ce n’était plus qu’une formalité juridique. Elle se considérait libre de se conduire à sa guise et de révéler ou non sa véritable situation matrimoniale. Elle se servait de ce secret comme un outil utile et charmant : en apparence, elle avait le physique d’une jeune vierge américaine, mais elle avait eu des amants et n’était pas une oie blanche, et surtout elle aimait l’effet produit quand un homme apprenait la vérité. « J’imagine que j’ai délibérément trompé 1 le corps diplomatique en omettant d’indiquer que j’étais une femme mariée à cette époque, remarque-t-elle. Mais je dois reconnaître que cela ne me déplaisait pas d’être traitée comme une demoiselle de dix-huit ans, sans livrer mon sombre secret. »
Elle eut amplement l’occasion de rencontrer de nouveaux hommes. La maison de Tiergartenstrasse était toujours pleine d’étudiants, de fonctionnaires allemands, de secrétaires d’ambassade, de correspondants de presse et d’hommes de la Reichswehr, des SA et des SS. Les officiers de la Reichswehr se comportaient avec une emphase aristocratique et lui confessaient leurs espoirs de voir rétablir la monarchie allemande. Elle les trouvait « extrêmement aimables, beaux, courtois, et sans intérêt ».
Elle retint l’attention d’Ernst Udet, un as de l’aviation de la Première Guerre, qui était devenu célèbre dans toute l’Allemagne comme vedette de spectacles aériens, explorateur et voltigeur. Elle alla chasser le faucon avec Göring, un autre membre de l’« escadrille des as », dans son vaste domaine, Carinhall, qui tenait son nom de sa défunte femme suédoise. Elle eut une brève aventure avec Putzi Hanfstaengl 2 , à en croire Egon, le fils de celui-ci. Elle était sans complexe et faisait bon usage des ressources de la maison, profitant pleinement des habitudes de ses parents qui se couchaient de bonne heure. Par la suite, elle eut une aventure avec Thomas Wolfe, quand l’écrivain séjourna à Berlin. Wolfe confia plus tard à un ami qu’elle était « comme un papillon 3 voltigeant autour de mon pénis ».
Un de ses amants était Armand Bérard, troisième secrétaire de l’ambassade de France – presque deux mètres et « incroyablement beau », d’après Martha. Avant de l’inviter à leur premier rendez-vous, Bérard demanda la permission à l’ambassadeur Dodd, un geste que Martha trouva charmant. Elle ne lui parla pas de son mariage et, par conséquent, il la traita au début comme une jeune innocente. Elle savait qu’elle possédait un grand pouvoir sur lui et que le moindre geste ou la moindre parole désinvolte pouvait le conduire au désespoir. Dans leurs périodes de brouille, elle fréquentait d’autres hommes – et faisait en sorte qu’il le sache.
« Tu es la seule personne au monde 4 qui puisse me briser, lui écrivit-il, mais tu ne le sais que trop et tu parais te réjouir, ô combien, d’en user. » Il la suppliait de ne pas être aussi dure. « Je ne le supporte pas, jura-t-il. Si tu te rendais compte comme je souffre, tu aurais probablement pitié de moi. »
Pour un de ses prétendants, Max Delbrück, un jeune biophysicien, le souvenir de son talent de manipulatrice restait présent à sa mémoire quarante
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