Dans le jardin de la bête
d’argile inanimés 18 , écrit-il, d’absurdes pantins aux yeux sans vie, brûlants de fièvre, le corps affaissé ».
Diels plaisait au père de Martha. À sa grande surprise, il trouva dans le chef de la Gestapo un intermédiaire utile pour arracher des ressortissants étrangers et autres des camps de concentration, et pour exercer une pression sur les autorités policières en dehors de Berlin afin de trouver et punir les SA responsables des agressions contre des Américains.
Cependant, Diels n’était pas un saint, loin de là. Pendant qu’il resta en fonction, des milliers d’hommes et de femmes furent arrêtés, beaucoup furent torturés, certains assassinés. Sous son commandement, par exemple, un communiste allemand appelé Ernst Thälmann fut emprisonné et interrogé dans les locaux de la Gestapo. Thälmann en a laissé un récit saisissant : « Ils m’ordonnèrent de retirer mon pantalon 19 et puis deux hommes m’attrapèrent par la nuque et me placèrent sur un tabouret. Un officier de la Gestapo en uniforme avec un fouet en cuir d’hippopotame à la main me fouetta les fesses à coups réguliers. Rendu fou de douleur, je ne cessais de hurler à pleins poumons. »
Du point de vue de Diels, la violence et la terreur étaient des outils précieux pour la sauvegarde du pouvoir politique. Au cours d’une réunion de correspondants de presse étrangers chez Putzi Hanfstaengl, Diels expliqua aux invités : « La valeur des SA 20 et des SS, selon ma vision d’inspecteur général chargé de la répression des tendances et activités subversives, tient au fait qu’ils répandent la terreur. C’est une chose salutaire. »
Martha et Diels se promenaient ensemble au Tiergarten, qui devint vite le lieu, au centre de Berlin, où l’on pouvait se sentir à l’aise. Martha aimait surtout flâner dans le parc en automne, parmi ce qu’elle appelait « La mort dorée du Tiergarten » 21 . Ils allaient au cinéma et dans les night-clubs, et roulaient pendant des heures dans la campagne. Il paraît probable qu’ils furent amants, bien que chacun fût marié, Martha sur le papier seulement, Diels pour la forme uniquement, compte tenu de son penchant pour l’adultère. Martha aimait avoir la réputation d’une femme qui couchait avec le diable – et qu’elle couchait avec lui paraît hors de doute, bien qu’il fût possible aussi que Dodd, comme les pères naïfs partout et à toute époque, n’en eût aucune idée. Messersmith le soupçonnait, de même que Raymond Geist, son second dans la hiérarchie. Geist se plaignait à Wilbur Carr, chef des services consulaires à Washington, que Martha était une jeune femme « on ne peut plus imprudente » 22 qui avait « pour habitude de traîner la nuit avec le chef de la police secrète nazie, un homme marié ». Geist l’avait lui-même entendue s’adresser à Diels, en public, en l’appelant « chéri », parmi d’autres mots doux.
Plus Martha apprenait à connaître Diels, plus elle constatait que lui aussi avait peur. Il avait l’impression d’être « constamment sous la menace d’un revolver » 23 , raconte-t-elle. Il était parfaitement détendu dans leurs promenades en voiture, quand personne ne pouvait entendre leurs conversations ou surveiller leur comportement. Ils s’arrêtaient et marchaient dans la forêt et prenaient un café dans de petites auberges reculées, inconnues. Il lui racontait comment tout le monde dans la hiérarchie nazie se méfiait de tout le monde, comment Göring et Goebbels se détestaient mutuellement et s’espionnaient, comment tous deux espionnaient Diels, et comment Diels et ses hommes les surveillaient en retour.
Ce fut Diels qui, le premier, tempéra sa vision idéaliste de la révolution nazie. « Commença à se dessiner sous mes yeux romantiques 24 … un vaste et complexe réseau d’espionnage, de terreur, de sadisme et de haine, auquel personne, officiel ou simple individu, ne pouvait échapper. »
Pas même Diels, comme les événements allaient bientôt le démontrer.
14
L A M ORT DE B ORIS
M artha avait encore un autre amant, le plus important de tous, un Russe marqué par le destin et qui allait façonner le reste de son existence.
Ce fut à la mi-septembre 1933 qu’elle en eut la première vision fugitive, lors d’une des nombreuses fêtes que Sigrid Schultz donnait dans son appartement, où elle vivait avec sa mère et ses
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