Dans le jardin de la bête
pénétrants.
Elle n’était pas précisément seule à ressentir cette attirance. Diels avait la réputation d’avoir beaucoup de charme, ainsi que du talent et de l’expérience au lit. Pendant ses études, il avait acquis une réputation de gros buveur et de don Juan, d’après Hans Bernd Gisevius, un membre de la Gestapo qui avait étudié dans la même université. « Des aventures compliquées avec les femmes 12 étaient pour lui monnaie courante », écrit Gisevius dans des mémoires. Les hommes aussi admettaient que Diels avait du charme et des manières. Quand Kurt Ludecke, un proche d’Hitler dans les débuts, fut arrêté et convoqué dans le bureau de Diels, il trouva le chef de la Gestapo cordial, contre toute attente. « Je me suis senti à l’aise 13 avec ce jeune homme grand, svelte et bien élevé, et ai trouvé ses égards immédiatement réconfortants, note-t-il. En ces circonstances, les bonnes manières comptent double… J’ai regagné ma cellule en songeant que, à tout prendre, je préférais être fusillé par un gentleman plutôt que roué de coups par un rustre. » Néanmoins, Ludecke fut placé en « détention provisoire », dans un camp de concentration à Brandenburg an der Havel.
Martha trouvait également irrésistible chez Diels le fait que tout le monde avait peur de lui. Il était couramment surnommé le « prince des ténèbres » et, comme Martha l’apprit, cela ne le dérangeait nullement. « Il tirait une joie mauvaise 14 de ses manières à la Méphisto et voulait toujours provoquer un silence de mort par son entrée mélodramatique. »
Diels s’était allié très tôt avec Göring et, quand Hitler devint chancelier, Göring, qui venait d’être nommé ministre prussien de l’Intérieur, récompensa la loyauté de Diels en le plaçant à la tête de la Gestapo nouvellement créée, alors qu’il n’était pas membre du parti nazi. Göring installa la police secrète dans une ancienne école d’art au 8 de la Prinz-Albrecht-Strasse, à deux rues du consulat américain dans Bellevuestrasse. Quand Dodd débarqua à Berlin, la Gestapo était devenue une présence terrifiante, bien qu’elle fût loin d’être l’entité omnisciente que les gens imaginaient. Sa liste d’agents était « remarquablement modeste » 15 , d’après l’historien Robert Gellately. Il donne en exemple l’antenne de Düsseldorf, une des rares dont subsistent les registres détaillés. Elle comptait deux cent quatre-vingt-onze employés responsables d’un territoire comprenant quatre millions d’habitants. Ses agents, ou « spécialistes », n’étaient pas les sociopathes que l’on décrit généralement, a découvert Crankshaw. « La plupart n’étaient ni fous 16 , ni déments, ni surhumains, mais terriblement ordinaires. »
La Gestapo entretenait son image sinistre en conservant le secret sur ses opérations et ses sources d’information. Les gens recevaient par la poste des cartes, comme tombées du ciel, leur demandant de se présenter pour un interrogatoire. Ils étaient terrorisés. Malgré leur apparence ordinaire, ces convocations ne pouvaient être négligées ni ignorées. Elles contraignaient les citoyens à se rendre dans ce bâtiment absolument redoutable pour répondre à des délits dont ils n’avaient probablement aucune idée, au risque – souvent imaginaire mais dans certains cas tout à fait réel – d’être expédiés à la fin de la journée en « détention provisoire » dans un camp de concentration. C’était cette accumulation d’inconnues qui rendait la Gestapo aussi terrifiante. « On peut échapper à un danger 17 identifiable, remarque l’historien Friedrich Zipfel. Mais une police qui travaille dans l’ombre devient insaisissable. On ne se sent à l’abri nulle part. Sans être omniprésente, elle risque toujours d’apparaître, de fouiller, d’arrêter. Le citoyen inquiet ne sait plus à qui se fier. »
Cependant, sous Diels, la Gestapo joua un rôle complexe. Dans les semaines qui suivirent l’accession d’Hitler au poste de chancelier, la Gestapo permit d’endiguer la vague de violence des SA, au cours de laquelle ceux-ci traînèrent des milliers de victimes dans des prisons improvisées. Diels fit des descentes pour y mettre fin et trouva des prisonniers dans un état effroyable, battus et meurtris, à vif, les membres brisés, presque morts de faim, « tels des amas
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