Des rêves plein la tête

père de
famille poussa devant lui un petit homme bedonnant à l'air jovial.
     
    — Annette,
reconnais-tu Alexis, le voisin de ton frère ?
     
    — Ben oui.
Bonjour. Comme ça, c'est vous qui devez amener mes gars à Saint-Guillaume ?
demanda la mère de famille en déposant une tasse de thé devant l'homme.
     
    — En plein ça.
Adrien savait que je venais aux noces de mon neveu à Montréal hier et que je
couchais chez une de mes sœurs avant de revenir. Il m'a demandé de passer les
prendre. Est-ce qu'ils sont prêts ?
     
    — Oui, monsieur,
répondirent les deux frères à l'unisson.
     
    Le visiteur les
regarda un instant avant d'ajouter :
     
    — Ça m'a l'air de
deux gars solides. Il y a pas à dire. Le voisin va avoir de l'aide en masse cet
été.
     
    Quelques minutes
plus tard, il se leva dans l'intention de prendre congé.
     
    — Bon. On a un
bon bout de chemin à faire. On va y aller.
     
    Armand et Bernard
embrassèrent leur mère et saluèrent leur père. L'un d'eux s'empara ensuite de
la boîte de vêtements préparée la veille et alla la déposer dans le coffre de
la vieille Ford poussiéreuse stationnée devant la porte. Le conducteur monta à
bord de son véhicule. Pendant qu'Honoré lui parlait, Annette attira ses fils à
l'écart.
     
    — Si votre oncle
ambitionne trop sur vous autres, leur dit-elle à voix basse, écrivez-moi.
     
    — Ça va changer
quoi, m'man ? demanda Armand.
     
    — Ton père et
moi, on va lui parler.
     
    — Il a même pas
le téléphone, lui fit remarquer Bernard.
     
    — Occupe-toi pas
de ça. Faites ce que je vous dis. Les adolescents montèrent à bord de la Ford
et la
     
    voiture démarra.
Le cœur étreint par la tristesse, Annette
     
    vit ses fils se
retourner vers elle et son mari pour les saluer de la main une dernière fois.
     
    Pendant que
Laurette se dirigeait vers la porte, Honoré chercha à consoler sa femme.
     
    — Un été au bon
air peut pas leur faire de tort. C'est sûr que ton frère les nourrira pas à
rien faire, mais ils sont solides et ils se laisseront pas manger la laine sur
le dos.
     
    — Ça fait rien,
protesta Annette en entrant dans l'appartement. Si tout allait pas de travers,
ils auraient une job en ville et ils seraient pas obligés d'aller rester là.
     
    Chapitre 2
     
    La rencontre
     
    Le mois de
juillet 1930 fut particulièrement chaud. Cette canicule eut au moins l'avantage
de permettre à Honoré de livrer plus de glace aux ménagères et de rapporter
quotidiennement près de deux dollars à la maison.
     
    Chez les Brûlé,
la routine n'avait guère changé malgré la chaleur. Après avoir vaqué aux
diverses tâches ménagères, Annette et sa fille s'installaient à la table de
cuisine et passaient de longues heures à confectionner des fleurs en tissu.
     
    Certains
après-midi, la jeune fille, n'obéissant qu'à son désir de remplacer ses deux
jeunes frères absents, quittait la maison pour accomplir des travaux qu'ils
auraient normalement effectués. Elle nettoyait l'écurie ou cordait, dans le
hangar attenant, le bois que l'oncle Arthur, un frère de son père, avait livré
au début du mois.
     
    Elle avait croisé
le pensionnaire des Charpentier à plusieurs reprises, mais ils s'étaient
toujours contentés de se saluer. Le garçon semblait être retenu par sa timidité
alors que Laurette était contrainte de rester discrète autant à cause de la
surveillance de sa mère que de sa promesse à son amie Suzanne.
     
    Par ailleurs,
cette dernière avait été bien peu disponible depuis le début de l'été. Laurette
ne l'avait pratiquement
     
    pas vue durant tout
le mois. Chaque fois qu'elle l'avait aperçue, la jeune fille s'en allait
travailler au couvent des dames de la Congrégation et n'avait pu lui parler que
quelques instants.
     
    Un jeudi matin,
Laurette était occupée à balayer le passage voûté qui conduisait à la cour
arrière quand elle entendit la voix de son père. Elle ouvrit la petite porte
découpée dans la porte cochère juste à temps pour l'apercevoir en train de
manier son pic à glace, debout à l'arrière de sa voiture. Deux enfants
s'étaient approchés et venaient de quêter des éclats de glace détachés d'un
bloc pour les sucer, comme s'il s'agissait de friandises.
     
    — Ouvre-moi la
porte de la maison, ordonna Honoré à sa fille en l'apercevant.
     
    Sur ce, l'homme
jeta une poche de jute sur son épaule sur laquelle il plaça sans effort le bloc
de glace. Il le