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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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dans la maison d'un Dedjazmatch, les deux Blaten Guétas ou Sénéchaux, l'Azzage ou Biarque, et les divers comptables se réunissent en présence du Dedjazmatch pour contrôler le budget de l'année écoulée, établir celui de l'année qui s'ouvre, vérifier le cueilleret, inventorier les ressources extantes, faire le recensement des seigneurs et autres gens de guerre détenteurs de fiefs et de ceux qui servent moyennant paye en argent ou en nature, relever le nombre des pensions à servir et des charges ecclésiastiques dont la nomination relève du Prince; éplucher les écroues et jusqu'aux dépenses les plus minimes du service particulier. C'est l'époque décisive pour les gouvernants et les gouvernés; le réveil des ambitions et des brigues; le moment des désertions et des rébellions, des élévations et des abaissements subits. Les malversateurs, les inconstants, ceux dont l'ambition désespère, les méfiants, les mécontents et les aboyeurs déguerpissent pour se réfugier dans les villes d'asile, ou se constituer en révolte ou passer au service d'un autre maître. De leur côté, les habitants de hameaux, de villages entiers, s'apprêtent à émigrer, en apprenant que tel seigneur réputé pour ses maltôtes sollicite l'honneur de les avoir pour vassaux.
    Pour bien diriger ce mouvement de désagrégation et de reconstitution générale, les Polémarques ont besoin de déployer toute l'intelligence, le tact, la connaissance des hommes et la fermeté dont ils sont doués. Demeurer impénétrable, surveiller ceux qu'ils comptent faire déchoir et ceux dont ils ne pourront satisfaire l'ambition, prévenir les mécontents, concilier les rivaux, faire accepter les nouveaux fonctionnaires, encourager et récompenser les dévoûments, sévir avec adresse contre les prévaricateurs, enlever aux Polémarques voisins des serviteurs dont le concours leur paraît désirable, satisfaire enfin tous ces affamés d'honneurs, d'avancement et de mieux-être, toujours enclins à se croire lotis au-dessous de leur mérite; faire sourdre dans tous les rangs les espérances, et imposer à tous: telle est la tâche difficile qu'ils ont à accomplir.
    Après avoir présidé aux vérifications préliminaires, le Dedjadj Guoscho avait l'habitude de régler avec son confesseur les affaires de sa conscience, et de vivre ensuite dans une retraite absolue. Deux pages seulement faisaient le service de nuit et de jour; un ancien page de son père, le Chalaka Maretcho, chef des huissiers du service intime, gardait sa porte et servait d'intermédiaire entre lui et ses sujets, dont aucun n'était plus admis en sa présence. Il ne recevait même plus sa femme, que son intelligence remarquable et son esprit remuant portaient volontiers à s'immiscer dans les affaires. Il confiait alors à son Grand Sénéchal le soin de rendre en son nom les décisions judiciaires d'urgence, et son confesseur était seul admis à partager ses repas. Après avoir ainsi passé quelques jours, recueilli et inaccessible, au milieu du déchaînement des passions les plus actives de ses sujets, il nommait d'abord, conformément à l'antique coutume du Damote, le page porte-aiguière, dont la fonction, regardée comme la plus humble parmi celles des pages, consistait à lui verser l'eau pour se laver les mains avant et après les repas. Ce petit fonctionnaire avait le droit de s'asseoir au bas-bout de la table, en face du Prince et à côté des plus grands seigneurs; en campagne, il devait porter le bassin et l'aiguière de cuivre qui représentaient tout son domaine. Le Prince décidait ensuite des nominations aux grandes charges; le Chalaka Maretcho transmettait à mesure à un timbalier, en permanence sur la place, les noms des titulaires et les formules d'investiture, que celui-ci rendait immédiatement officielles par ban. Ceux que le Prince voulait priver de leur liberté étaient subitement arrêtés, soit au camp, soit dans leurs fiefs, par les centeniers les plus énergiques de la garde. Les nominations terminées, c'était avec une joie d'enfant que le Prince rouvrait sa porte à ses commensaux ordinaires et à ses familiers. Les nouveaux grands dignitaires et ceux qui avaient été confirmés dans leur poste venaient ensuite faire leurs baise-mains et recevoir en cérémonie leur cotte-d'armes d'investiture. La plupart des Polémarques avaient au contraire l'habitude, en ces occasions, de s'entourer de leurs familiers et de leurs conseillers, ce qui

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