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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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qu'elle leur servirait de lieu de réunion. La Waïzoro, qui nous avait devancés à Goudara, reprit, à mon égard, ses attentions bienveillantes: matin et soir, elle faisait prendre de mes nouvelles, et s'informait de ce dont je pouvais avoir besoin. La plupart des chefs étant dispersés dans leurs investitures, le Prince vivait moins entouré. Dès le chant du coq, il donnait audience aux appelants, aux plaignants et réclamants de toute sorte; puis, il expédiait quelques affaires avec ses Sénéchaux, déjeunait et employait à ses loisirs le reste de la journée; deux fois par semaine seulement il tenait son plaid. Je commençais à parler l'amarigna, et à me passer d'interprète; mes relations avec le Dedjazmatch devinrent plus fréquentes et plus intimes; j'étais régulièrement de ses repas et de ses veillées; le reste de mon temps était pris par des visiteurs, la lecture et les soins à donner à mon cheval, qui partageait ma demeure et que je souhaitais de pouvoir manier de façon à faire honneur à celui de qui je le tenais.
    Nous étions à l'époque de la révision annuelle des investitures. Pour bien apprécier l'importance de cette mesure dont la portée est à la fois politique, administrative et domestique, et en faire ressortir l'esprit, il est bon de revenir brièvement à ce qui a été dit relativement à la transformation des constitutions éthiopiennes.
    Lorsque les Atsés voulurent constituer leur puissance comme celle des Empereurs byzantins, ils durent d'abord substituer au droit national, qui répartissait les pouvoirs, le droit byzantin, qui les concentrait, et ils prirent pour complices les Likaontes et ceux qui formaient avec eux le haut tribunal, ainsi que ces hommes faisant en quelque sorte partie du clergé, qui avaient grandi dans ses écoles, et qui, sous la dénomination de clercs, servaient de chantres aux offices, remplissaient dans l'église tous les services qui n'exigeaient pas l'ordination, et fournissaient les professeurs de grammaire, d'histoire, de théologie, de philosophie et d'autres sciences tombées aujourd'hui en oubli. Enfin, comme il leur fallait aussi le glaive, ils intéressèrent à leur complot les Polémarques, expression de l'élément militaire.
    C'était, certes, un dessein hasardeux que celui de cette poignée d'hommes entreprenant d'enlever à une nation le droit qui faisait sa vie, et dont chaque citoyen était le défenseur naturel, puisqu'il y puisait la raison de son importance. Mais la victoire devait rester au petit nombre, qui formait la partie la plus instruite de la nation, et qui avait le plus d'ensemble et d'unité de vues.
    Les clercs, par leur enseignement, semèrent adroitement les équivoques, pervertirent la raison publique, le sentiment des rapports des droits et des devoirs, et, en troublant la croyance religieuse, ils relâchèrent le dernier lien capable de relier les hommes, que l'intérêt tend trop souvent à désunir.
    Tantôt par la ruse, tantôt par la violence, ils désagrégèrent la société et pénétrèrent dans toutes ses parties. Les Empereurs, ne pouvant détruire la famille, la désorganisèrent. Ils se substituèrent à la commune, qu'ils laissèrent subsister de nom, mais comme mécanisme fiscal, et ils firent de même de la province. À l'exemple des Romains, dans la Gaule, ils concentrèrent l'autorité dans les cités: le camp du Polémarque, quoique mobile, prit le nom de Kattama , qui veut dire cité, et les villes furent désignées par un nom qui veut dire paroisse. Comme dans tout gouvernement despotique, de l'aristocratie éthiopienne il ne resta bientôt plus qu'un simulacre représenté par des titres, humiliants pour ceux qui les portaient légitimement, puisqu'ils ne constataient plus que leur déchéance, dégradants pour ceux qui les devaient à la seule volonté du Prince ou à d'autres sources illégitimes.
    Le peuple éthiopien a perdu la connaissance des longues et sanglantes vicissitudes de la lutte qu'il a soutenue contre le droit impérial; mais il en a conservé le sentiment, et, d'accord avec les rares traditionnistes en état de relater aujourd'hui les principales phases de cette sombre histoire, il accuse les clercs d'avoir pris la part la plus importante dans le grand bouleversement social qui a amené sa décadence. Il s'est réfugié dans les mots, recours ordinaire des faibles et des vaincus, et il a converti en injure le mot de Debtera qui signifie clerc, et qui implique

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