Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
aujourd'hui l'idée d'un homme instruit, subtil, mais rusé et le plus souvent voué à l'esprit du mal.
Cependant, les Atsés, dans leur toute-puissance, devinrent la proie des soupçons et des inquiétudes, maux ordinaires de la tyrannie. Quoique mutilées et enchaînées, la famille, la commune et la province soubresautaient encore; elles pouvaient se redresser. La confiance entre gouvernants et gouvernés avait disparu; les Atsés ne conférèrent plus l'autorité sous la seule garantie de la foi jurée. Ils la répartirent à courte échéance et la déplacèrent incessamment, tant ils craignaient qu'elle ne prît racine ailleurs qu'au pied du trône. En conséquence, ils soumirent à une révision annuelle toutes les charges et toutes les fonctions, à quelque degré qu'elles fussent. À l'esclave de la veille ils donnaient le commandement, reléguant parfois le maître à n'importe quel bas rang, et, comme les défiances surgissaient jusqu'autour du foyer impérial, ils soumirent à la révision leur personnel domestique. Leurs valets, les plus infimes serviteurs, leurs pages, leurs parents, leurs concubines, nul ne prenait rang, qualité ou position, qu'en passant sous le joug périodique de la volonté du maître. Les Polémarques, qui se sont partagé les lambeaux de l'Empire et dont l'autorité est encore plus illégitime et plus précaire que celle des Empereurs, gouvernent comme eux, et pour les mêmes raisons; et, chaque année, ils font la révision de toutes les investitures émanant d'eux; tous leurs subordonnés font une opération analogue, chacun dans le rayon de son autorité. On comprend la crise qu'amènent ces désagrégations et réagrégations périodiques: tous les pouvoirs sont déposés, et le gouvernement reste comme suspendu pendant quelques jours.
Au point où l'ont réduit ces malheureuses transformations politiques, il n'y a aujourd'hui dans le pays que deux catégories de citoyens: celle qui comprend le clergé, les cultivateurs, les trafiquants et les industriels, et, au-dessus, celle des hommes de guerre, qui exercent le pouvoir. Ceux-ci exploitent, pressurent, ruinent la portion stable et foncière. Les citadins et les cultivateurs surtout s'épuisent à subvenir aux besoins d'une population errante de gens de guerre oisifs, turbulents et dépensiers, investis annuellement par le Polémarque du droit de pressurer des vassaux, et les traitant d'autant plus âprement que leur autorité est révocable et passagère.
L'Empire éthiopien était divisé en polémarchies, diverses par leur étendue et leur importance, et conférant à celui qui en était investi un titre de polémarque, celui de Ras, de Dedjazmatch ou autre. On a vu que ces Polémarques n'étaient à l'origine que des chefs militaires, qui, sitôt la campagne finie, ne conservaient que des pouvoirs insignifiants. Conformément à l'us féodal, qui veut que la terre confère sa valeur à l'homme, depuis la chute de l'Empire, ceux qui ont pris possession de ces polémarchies, n'importe par quels moyens, ont pris en même temps les titres et les insignes honorifiques dont étaient revêtus leurs prédécesseurs régulièrement investis.
Pour devenir Polémarque, il suffit d'être investi d'une polémarchie par un Polémarque d'un ordre supérieur dont on devient le vassal, ou bien il faut s'être emparé par la force d'une polémarchie. Les mœurs militaires veulent que, dans le cas où un homme qui n'est pas encore Polémarque s'empare d'une polémarchie, il n'en prenne le titre qu'après s'être rendu maître des timbales de son rival ou de celles d'un autre Polémarque. Les titres de Ras, Dedjazmatch et autres Polémarques sont à la fois des dignités et des grades; ils sont personnels, indélébiles, et ne peuvent se transmettre sans la terre qui les confère. Dans la confusion actuelle des pouvoirs, la dignité de Polémarque s'acquiert le plus souvent par des moyens violents, et les provinces de l'ancien Empire constituent aujourd'hui de petits États dont les uns sont indépendants, et les autres vassaux. Tel Ras ou tel Dedjazmatch a commencé par détrousser sur les grandes routes. On peut dire cependant que la plupart de ceux qui sont arrivés à ces dignités appartiennent à des familles de notables et souvent de princes. Tout Polémarque vassal d'un autre relève de l'investiture annuelle de son suzerain. Les Polémarques indépendants ne relèvent que de la force.
Lorsque la révision annuelle a lieu
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