Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
Vom Netzwerk:
s'adonnerait à l'étude de l' amarigna et du guez ou langue sacrée, tout en s'appliquant à se concilier le bon vouloir des habitants. Nous partageâmes nos ressources avec cet agréable compagnon, et nous le quittâmes à regret; dès lors, notre route se bifurqua pour toujours. Quelques mois après, mon frère arrivait à Rome, et la Congrégation des Lazaristes, autorisée par la Propagande, adjoignait d'autres missionnaires au Père Sapeto, pour continuer la mission en Tigraïe et en pays Amhara.
    La journée était avancée lorsque nous quittâmes le camp du Prince. Ayant reconnu les inconvénients de nombreux bagages, nous les avions réduits à ce que nous pensions être le strict nécessaire; nous avions fait présent de nos deux tentes, et à l'exception des instruments d'astronomie de mon frère, tout était renfermé dans des outres de peau de chèvre, plus commodes à transporter et attirant moins l'attention que les malles ou les coffres. Nous n'avions plus que vingt suivants environ, tant porteurs que serviteurs. Le soldat d'Oubié nous faisait héberger chaque soir; à cet effet, il nous précédait de quelques centaines de mètres et s'enquérait auprès des paysans occupés aux champs, du nom du chef de la localité. Parfois, ceux-ci, devinant ses intentions, tiraient du pied; il les poursuivait, atteignait les moins lestes, et l'on riait de part et d'autre; mais ces débuts nous pronostiquaient ordinairement maigre chère. Nos porteurs déposaient leur charge sur le chango ou place du village: c'est le forum éthiopien, le lieu où se discutent les intérêts publics et privés; villes, bourgs, villages, les plus petits hameaux ont le leur. Notre soldat parcourait le village, annonçant à haute voix sa mission, puis, revenait s'accroupir auprès de nous, et quelquefois nous attendions longtemps que les habitants vinssent négocier. En tout pays, le laboureur est avare et madré; de plus, celui d'Éthiopie est particulièrement loquace. Un à un, ces braves gens s'assemblaient, discutaient d'abord avec le soldat d'Oubié, et s'entre-querellaient pour la répartition de nos gens, quelquefois endormis de fatigue; on les réveillait, on réunissait les bagages dans la maison qui nous était destinée, et chacun suivait le paysan chargé de l'héberger pour la nuit. Le Dedjadj Oubié avait recommandé de nous faire donner chaque soir un mouton; on nous servait du reste, six ou huit portions, tant en pain qu'en mets préparés; car, en Éthiopie, on mange toujours avec quelques-uns de ses serviteurs. D'ailleurs, il est d'usage de fournir le voyageur assez abondamment pour que, sur son repas du soir, il puisse réserver son déjeuner du lendemain. Entre Adwa et Gondar, une seule fois, les habitants refusèrent de nous recevoir, leur chef s'étant offensé d'une expression échappée à notre soldat; il nous fallut presque recourir à la violence pour qu'on nous permît d'entrer dans un parc de moutons pour nous y abriter contre les hyènes. La coutume est en pareil cas, d'intenter une action en dommages et intérêts, qui varient selon l'importance du voyageur. Quant à nous, malgré le vif désir de notre guide, nous ne voulûmes faire aucune plainte.
    Nous arrivâmes à Gondar le 28 mai, sept jours après notre départ d'Adwa. Jusqu'alors Gondar n'avait été visité que par un très-petit nombre d'Européens, et cela à de longs intervalles. Cette ville, voisine des parties encore peu explorées de la haute Éthiopie, nous offrait plusieurs avantages pour nos investigations; son marché hebdomadaire, le plus important de l'Éthiopie, y attire des caravanes de toutes les parties de l'intérieur; aussi, avions-nous désiré d'en faire le point central de nos entreprises. En entrant en ville, nous nous fîmes conduire à la maison d'un des quatre Likaontes ou grands juges impériaux, nommé Atskou, qui passait pour aimer les étrangers et surtout les Européens.
    Le Lik Atskou, qui parlait un peu l'arabe, vint nous accueillir sur le seuil de sa maison. C'était un homme d'environ soixante-dix ans, grand, d'une belle prestance, ayant le teint très-foncé et une physionomie douce et intelligente; il insista pour nous défrayer, nous et notre monde; et ce fut à grande peine que nous obtînmes le troisième jour de vivre désormais du nôtre. Mais il ne voulut jamais consentir à nous laisser chercher un logement ailleurs.
    —Vous venez de bien loin, mes pauvres enfants; nous dit-il, et les hommes de

Weitere Kostenlose Bücher