Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
soumettre à mon inspection, et, dans le cas où la restitution serait insuffisante, de le remettre à la torture en resserrant l'anneau qui fixait la chaîne à son poignet. Le malheureux me fit observer que cet anneau le serrait encore trop pour lui permettre de dormir: j'obtiens du Chalaka qu'on le fit aaiser.
Grâce à des cadeaux en comestibles qui m'arrivaient de tous côtés, je pus faire festiner mes hôtes; le prisonnier mangea, but et fut joyeux avec nous: le Chalaka noya complétement sa raison dans l'hydromel, et plusieurs de ses soldats l'imitèrent. Le Lik Atskou, sachant qu'on faisait grande chère chez moi, me fit dire que des vassaux d'Aschebber rôdaient par la ville, et que, pour éviter toute surprise, j'eusse à faire bonne garde de nuit; il ne dormit point lui-même et m'envoya d'heure en heure son esclave pour s'assurer de la vigilance de mes gens.
Le lendemain, la famille d'Aschebber produisit une partie de la rançon demandée: c'étaient surtout des carabines, de vieux tapis et des étoffes en soie dont les dessins rappelaient le goût qui régnait jadis dans l'Inde et dans l'Yemen, des pièces d'orfévrerie, des poignards et des sabres aux montures indiennes enrichies de pierres de couleur et d'un travail exquis. La magnificence de ces objets, provenant sans doute de quelque empereur, me confirma une partie de ce que m'ont raconté les vieillards sur la richesse des costumes de leurs aïeux. Mais tout cela était loin de représenter le chiffre de la rançon imposée. L'ordre vint de remettre le prisonnier à la torture. J'obtins un délai, et je me rendis auprès du Dedjadj Birro, qui voulut bien permettre de relâcher Aschebber moyennant un appoint insignifiant en argent.
En rentrant à Gondar, je trouvai le Chalaka gardé à vue par ses propres soldats et son prisonnier. Je lui avais laissé trop grosse provision d'hydromel et d'eau-de-vie, et une insolation après boire l'avait privé de la raison depuis quatre jours. Je fis libérer Aschebber, et je repartis pour le camp avec les soldats de la garde. Quant au Chalaka, toujours en proie au délire, ses suivants personnels, trop peu nombreux pour le bien garder dans ma maison isolée, se réfugièrent avec lui sous le porche d'une église.
Après quelques jours passés au camp, j'étais revenu à Gondar, lorsqu'un matin la ville fut réveillée par les soldats de Birro, qui arrivait encore de la poursuite de l'insaisissable Woldé Téklé. Birro m'envoya prévenir, et j'allai le trouver dans une église où il se reposait. Il me dit que Gondar n'était qu'un ramassis de vils marchands, de grandes dames au rabais, d'ecclésiastiques faux savants et de clercs séditieux, et que je devais en avoir assez. «Pendant que les soldats se rafraîchissent, ajouta-t-il, allons respirer un air moins impur.» Et, suivis de quelques cavaliers seulement, nous partîmes au galop, laissant la ville sens dessus dessous. Il m'emmena à l'ancienne habitation de son aïeule, l'Itiégué Mentewab, femme et mère d'empereur.
Cette habitation, située à un kilomètre environ de Gondar, au pied des montagnes qui entourent la ville, consiste en un joli pavillon flanqué d'une tour carrée, bâti à la chaux et à l'européenne, tout auprès d'une église bâtie également par l'Itiégué et dédiée à Notre-Dame, sous la vocable de Koskouam, nom donné par les Éthiopiens au lieu de refuge choisi par la mère du Sauveur durant son exil en Égypte. Quelques misérables huttes de paysans groupés autour forment seules aujourd'hui la paroisse. Cachées au milieu d'un bouquet de grands arbres toujours verts, l'église et l'habitation, qui se décèle par sa haute tour, offrent un des points les plus pittoresques des environs de la ville.
L'Itiégué Mentewab, qui vivait encore au temps du voyageur Bruce, représente une des physionomies les plus attrayantes du déclin de l'Empire. Native de la province de Kouara, elle fut amenée à Gondar dans son enfance par sa mère, qui, ayant perdu son mari, dut suivre elle-même un procès en Cour suprême; et les pages impériaux, frappés de la beauté de l'enfant, en parlèrent devant l'Empereur comme d'une merveille. La mère obtint justice, et l'Empereur retint l'enfant, qu'il confia à ses femmes et qu'on surnomma Mentewab ( Que tu es jolie! ), nom que les pages lui avaient donné en la voyant. Elle grandit dans le palais, oubliée durant quatre années. Un soir à souper, un des familiers parla d'elle, et
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