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Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie

Titel: Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arnauld d'Abbadie
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rochers, lorsque le javelot de Birro l'atteignit; il tomba percé d'outre en outre. La population musulmane poussa des cris de joie, tandis que le servant d'armes du Prince ramassait le javelot sanglant de son maître. Tous les pillards fuyaient dans la campagne et reprenaient la route du camp. Birro demanda sa mule, ordonna de balayer les traînards hors de la ville haute et donna lui-même l'exemple du départ pour le camp. Avant mon arrivée sur la place du marché, il avait déjà tué un autre de ses soldats, qui, les mains pleines, sortait d'une maison.
    Birro avait défendu à ses gens de descendre dans le quartier musulman, et en sévissant comme il venait de le faire d'une façon si conforme à la fougue de son caractère, il ravivait cette terreur qu'il aimait à inspirer, et il affichait du même coup sa déférence pour les intentions de son suzerain Ali, qui protégeait les musulmans de Gondar d'une façon spéciale. Nous sortions à peine du Salamgué, qu'un musulman, traînant après lui un jeune soldat, arrêta le Prince par ses cris.
    —Parle donc, lui dit Birro.
    Le musulman accusa le soldat d'avoir pillé sa maison de fond en comble et d'avoir maltraité sa femme.
    —Holà! qu'on lui coupe pieds et mains, dit Birro.
    —Par Allah! mon Seigneur, dit le plaignant, que ferais-je de ses membres? Qu'il les garde pour s'en aller le plus loin possible, mais qu'il me rende ce qu'il m'a pris.
    Le soldat terrifié protesta par serment qu'il n'avait pris qu'une vieille ceinture, et qu'encore, un de ses camarades la lui avait enlevée sur le champ; il offrait d'ailleurs de donner celle qu'il portait. Birro lui dit en se remettant en marche:
    —Roncin que tu es! s'il en est ainsi, que ne lui frottes-tu les oreilles à ce mécréant?
    Et il laissa le musulman composer comme il put avec le soldat.
    Cependant il me tardait d'aller au-devant de mon frère, et le Dedjadj Birro remettait de jour en jour de me donner mon congé, lorsqu'il conclut avec le Dedjadj Oubié une alliance secrète, dont le but était de marcher prochainement contre le Ras Ali, leur suzerain commun. Je représentai à Birro que cette circonstance me permettrait d'aller et de revenir de Moussawa avec promptitude et commodité, puisque le Dedjadj Oubié tenait tout le pays depuis Gondar jusqu'à la mer Rouge.
    Après beaucoup d'objections, il consentit à mon départ, et afin, disait-il, que je pusse figurer convenablement à la cour de son allié, il voulut me donner un bouclier richement garni en vermeil, un fort beau sabre et une belle mule caparaçonnée comme la sienne. Je refusai ces présents, et il en prit de l'humeur:
    —Celui qui reçoit s'engage, me dit-il; tu veux partir sans pensée de retour.
    Enfin, après beaucoup d'instances, il m'accorda deux mois pour faire mon voyage, en me recommandant toutefois de me joindre à l'armée d'Oubié, si avant cette époque cet allié opérait sa jonction avec lui pour marcher contre le Ras.
    —Car, si Dieu le permet, dit-il, nous ferons parler de nous grandement. Mais avant de nous séparer, je veux que nous nous engagions, par serments réciproques, toi à revenir, moi à te traiter toujours comme un frère.
    Malgré ma répugnance à me lier de cette façon, je crus devoir céder.
    —Je ne sais, me dit-il, quelles sont les formules de serment usitées dans ton pays, mais que m'importe! tout serment recèle le principe vengeur de son inobservance. Pose ta main sur ma cuisse, et engage-toi, par la mort de Monseigneur Guoscho et par la mienne, à revenir auprès de moi ou de mon père, sauf la volonté contraire de Dieu.
    Je promis.
    —Et si tes projets venaient à changer, ajouta-t-il, dis que le pain se tourne pour toi en venin et te corrode les entrailles, et que tout ce que tes lèvres pourront boire ne serve qu'à enflammer ta soif; dis que les hommes n'éprouvent pour toi que de la haine; dis que les désirs que tu formeras s'accomplissent pour d'autres et sous tes yeux; dis que ton passage sur la terre, comme dans le cœur de ceux que tu aimes, ne laisse pas plus de trace que n'en laisse le serpent maudit qui rampe sur un rocher nu!
    Je répétai ces paroles après lui.
    —Quant à moi, mon frère, reprit-il, dicte-moi le serment que tu voudras.
    Comme je refusais:
    —Si je trahis le premier notre amitié, dit-il, que mes chairs se déchirent et flottent en lambeaux le long de mes ossements, avant que mon âme ait quitté la terre; que tous ceux en qui je me confie se tournent

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