Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
disant qu'après tout, ces enfants étaient siens, et que, dût-il éprouver leur ingratitude, il lui convenait de les défendre contre un prince étranger. Échappé de leur défaite, il parcourait le Dambya, ou il était très-populaire, mais sans pouvoir faire prendre sa cause au sérieux.
À quelques jours de là, nous apprîmes en soupant qu'il venait de s'arrêter à un village près de Gondar, et nous fûmes en selle immédiatement. Au point du jour, nous atteignîmes ses traînards; il avait encore déguerpi et s'était réfugié sur les terres du Wogara, province de la mouvance d'Oubié. En revenant de cette course, nos soldats harassés obliquèrent vers Gondar, où ils espéraient que Birro leur permettrait de se faire héberger une nuit; mais il envoya des cavaliers pour garder les avenues de la ville et passa outre. Il m'accorda un congé de quelques jours pour revoir le Lik Atskou.
Quoique je n'eusse avec moi que deux cavaliers et six fantassins, les habitants de Gondar, déjà alarmés par le voisinage de Birro s'émurent à mon approche: le harnais en vermeil et la housse écarlate de mon cheval me firent prendre pour quelque haut personnage qui serait bientôt suivi de soldats turbulents et affamés. Mais on se rassura en me reconnaissant, et je regagnai sans incident mon ancienne demeure, où j'avais vécu en moine et où je rentrais en soldat.
Le bon Lik Atskou me reçut avec effusion, mais, après m'avoir considéré, il hocha tristement la tête en disant:
—Mon fils, tu as bien fait parler de toi depuis que tu m'as quitté. On ne réfléchit guère à cheval. As-tu assez songé aux conséquences de ta conduite? Tes deux princes ont reçu de leurs ancêtres une lourde dette à acquitter devant Dieu et devant les hommes; n'as-tu pas craint d'en devenir solidaire, toi qui es sans racine dans notre pays et de passage seulement? Car tu ne peux avoir renoncé à ta patrie, terre de vérité, de justice et de science. Un fait futile en apparence se présente à nous autres, vieillards, avec toutes ses conséquences; aussi suis-je peiné des changements que je vois dans ton costume: ta poitrine n'est plus recouverte d'une tunique, tu te contentes de notre toge, tes jambes sont nues, tu marches sans chaussure, tu n'as plus dans le vêtement cette retenue qui te distinguait de nous, tu as quitté pour le nôtre le costume de tes pères. Ce changement m'en fait craindre bien d'autres dans tes idées. Prends garde, mon fils, en te détournant des traditions qui ont étayé ta première jeunesse, de nuire à ton âge mûr.
Je m'efforçai de rassurer mon austère et bienveillant conseiller; mais sa défiance était en éveil; mes protestations ne parurent l'apaiser qu'à demi.
Le lendemain, il me conduisit à son église de prédilection pour remercier Dieu, disait-il, de mon heureux retour.
La forme des églises en Éthiopie est presque toujours celle d'un périptère circulaire; les murs, en pierre brute et en bousillage, sont enduits d'une couche de terre blanche ou jaune; les embrasures sont en menuiserie, les colonnes en bois et le toit en chaume. Au centre, une énorme colonne tronquée et creuse renferme le sanctuaire; de sa base formée de quatre murs à hauteur d'épaule, orientés aux quatre points cardinaux, se dégage un fût carré, rond quelquefois, qui monte jusqu'à la partie centrale du toit auquel il sert d'appui; au milieu de chaque face s'ouvre dans l'intérieur de la colonne une porte dont la partie supérieure est dans le fût et dont le seuil s'appuie sur des marches de bois dans la base. À quelques mètres de ce sanctuaire court un mur qui l'enclave de façon à former une enceinte circulaire; ce mur n'a d'autre ouverture que quatre portes établies en face de celles du sanctuaire, et il est enclavé à son tour par une espèce de péridrome ou galerie extérieure formée de colonnes ordinairement en bois. La portion inférieure des entre-colonnements est souvent garnie d'un treillage en roseaux. Ces trois enceintes sont couvertes par un vaste toit en chaume, très-épais, de forme conique, dont le centre s'appuie sur le fût tronqué du sanctuaire, et le pourtour sur les linteaux de la colonnade. Ordinairement une grande croix grecque se dresse sur le sommet de ce toit, et des œufs d'autruche sont embrochés à quelques-uns de ses croisillons; sur les églises riches, cette croix est en cuivre doré et scintille au loin. Des troupes de tourterelles nichent dans les boulins
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