Douze ans de séjour dans la Haute-Éthiopie
entre le Damote, le Metcha et le pays des Agaws; cette vallée s'ouvre et s'élargit vers cette dernière province et se trouve close, du côté de l'Est, par la réunion des collines.
Je demandai à Ymer-Goualou à être conduit aux sources; les chefs se consultèrent et me donnèrent une petite escorte. Le Lidj Dori devait m'attendre le lendemain au soir dans un district assez éloigné de là. Avant le jour, je me mis en marche.
La vallée et les pentes qui la circonscrivent étaient revêtues d'une végétation pressée, où dominait le gracieux Kerhaa (espèce de bambou), et les lianes qui entravaient notre étroit sentier annonçaient assez que peu de voyageurs en troublaient la solitude. Le sol devint tourbeux, l'atmosphère humide; les arbres plus pressés et plus grands étaient revêtus d'une mousse luxuriante. Bientôt, le terrain croulier indiqua l'abondance des eaux souterraines; nous arrivâmes à une clairière, et un soldat me dit, en désignant deux trous circulaires et bordés d'une mousse épaisse:
—Voilà l'Œil de l'Abbaïe.
Ces deux trous, larges de deux mètres environ, contenaient à pleins bords une eau limpide et sans mouvement apparent; c'est sous le sol qui les entoure que se déversent d'une façon latente les eaux qui alimentent à sa naissance ce fleuve, le plus grand de l'Éthiopie. Afin de me démontrer la profondeur de ces deux cavités, des soldats lancèrent perpendiculairement dans l'une et l'autre une verge longue de deux mètres, qui disparut comme une flèche et ne rejaillit qu'après un long intervalle.
—Ces cavités conduisent, me dirent-ils, jusqu'au cœur de la terre.
Les environs abondent en lions, en buffles et en autres bêtes sauvages. Je me disposais à faire un tour d'horizon à la boussole et à observer la latitude du lieu, mais les gens de l'escorte s'opposant absolument à tout délai dans cet endroit désert et dangereux, nous repartîmes aussitôt au pas de course, et nous regagnâmes le hameau de Kouellèle Kuddus Mikaël.
Le nom de Guiche Abbaïe, qu'on donne aux sources mêmes, s'étend aussi au district qui les renferme, ainsi qu'à la montagne la plus saillante parmi celles qui forment cette vallée.
J'étais le troisième Européen qui atteignait l'emplacement de ces sources visitées par Bruce et découvertes par Pedro Paëz. En les quittant, je voulus, malgré mes guides, suivre les premiers pas du fleuve célèbre qui en découle. Après l'avoir côtoyé et enjambé plusieurs fois, pour constater les tributs que lui apportaient ses premiers et humbles affluents, je compris le désaccord des plus savants géographes, et la facilité avec laquelle s'élève un conflit d'opinions relativement à l'élection d'un cours d'eau principal du milieu d'un réseau de tributaires contigus, afin de signaler ce cours comme la véritable origine d'un fleuve. Dans le choix qu'on fait ainsi, doit-on regarder comme raison déterminante l'étendue relativement plus grande du bassin d'un des affluents? S'en tiendra-t-on à celui dont la source est la plus éloignée de l'embouchure maritime, en mesurant toujours dans le lit du courant? Faudra-t-il au contraire ne considérer que le volume relatif des eaux, ou enfin ne se fixer que d'après la dénomination acceptée par les indigènes, et qui, dans les différentes parties du globe, semble avoir été motivée par des raisons opposées? Mais je laisse ces questions, celles qui en découlent, et les théories qui les font naître, à ceux pour qui elles constituent un intérêt de premier ordre; ce qui m'importait avant tout dans ma visite aux sources célèbres de l'Abbaïe, c'était l'étude des populations qu'il fallait traverser pour les atteindre.
En découlant de la haute vallée qui le voit naître, l'Abbaïe se dirige d'abord vers le Nord-Ouest, puis se tourne au Nord, pour entrer dans le lac Tsana, qu'il traverse, assure-t-on, sans y mêler ses eaux et en contournant la péninsule de Zagué, qui est attenante au district du Metcha. Près de Bahar-Dar, l'Abbaïe débouche du lac sous la forme d'un large déversoir; puis, coulant au Sud-Est dans un lit rocheux et rétréci, il sépare du Gojam, d'abord le Bégamdir, puis l'Amhara, l'Ahio, le Durrah, le Djarso, le Touloma, le Kouttaïe, le Liben, le Gouderou et l'Amourou. Plus bas, il sépare l'Agaw-Médir et les nègres qui l'avoisinent, des Sinitcho du Limmou et des nègres de la rive gauche, pour se joindre au Didessa, et devenir, sous le nom de
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