Eclose entre les lys
gentil Bourdon ! Le cavalier
blond appela soudain l’homme qui s’attardait.
La jeune princesse s’avisa seulement de la
présence du dénommé Bourdon, et surprit le vent de colère qui passa dans ses
yeux sombres, des yeux à l’acuité dérangeante. Enfin, il piqua des deux et
rejoignit vivement son compagnon ; les deux hommes s’éloignèrent, prirent
le galop, et disparurent.
L’astre du jour venait-il de s’éteindre ? Cette
radieuse journée de juillet semblait subitement devenue grise. Un vide
accablant envahit Isabelle, un manque, une sorte de faim. Oui, elle était
terriblement affamée du désir de revoir l’insolent cavalier blond.
Elle se retourna vers Catherine, toujours blottie
contre son Adémard. Et soudain, pour la première fois, elle l’envia.
2
Au château de Ludwigsburg
Les Visconti ont conquis la seigneurie de Milan au siècle
précédent, et se sont débarrassés de la famille régnante, les Della Torre, en
les faisant suspendre dans des cages de fer. Depuis, les Visconti règnent en
tyran à Milan, et se dévorent entre eux, perpétuant la cruauté de leur dynastie.
Trois mois auparavant, Étienne Wittelsbach, duc de Bavière,
recevait l’ambassade de la duchesse de Brabant, venue solliciter très
officiellement la main de leur fille unique Isabelle, au nom du roi de France, Charles
le sixième.
Et pour appuyer la demande en mariage du roi de
France, la douairière s’était fait accompagner par le jeune frère d’Étienne de Bavière,
le duc Frédéric.
C’était au lendemain du dimanche de Quasimodo, le
mois d’avril retenait encore les neiges d’un hiver opiniâtre. Dans la tour est
du vieux château de Ludwigsburg, une table avait été dressée dans le retrait
des appartements de la duchesse Thadée Visconti.
La puissante famille des Wittelsbach se partageait
le titre et le duché comme le voulait leur coutume : Étienne gouvernait
les États ; Frédéric, comme beaucoup de cadets allemands, courait l’Europe,
mettant son épée et son ost au service du souverain en guerre le plus offrant.
Pour l’heure, il était lié par contrat honorable
de fiefs et de rentes à la cause française dans son éternelle querelle avec l’Angleterre,
ce qui faisait de lui l’allié honoré de Charles VI. Cette guerre lui
offrait une inépuisable source de profits et de gloire. Par ce fait, Frédéric
avait évidemment tout intérêt au mariage de sa nièce Isabelle avec le roi de
France, qu’il appelait déjà monseigneur beau-neveu.
Alors que le repas s’achevait, Jeanne présenta sa
requête en longues circonlocutions aimables, vantant hautement la noble famille
des Wittelsbach d’Ingolstadt de Bavière, pour en arriver à l’honneur de
cette alliance avec la famille des Valois et le prestige de la cour de France.
— Le prestige de la cour de France ? l’interrompit
alors brutalement le duc Étienne, qui l’avait écoutée sans broncher.
Cramoisi d’indignation, il souligna sa réprobation
par un violent coup de poing sur la table qui fit danser gobelets d’étain et
aiguières d’argent.
— La cour de France n’est que jeunes loups
affamés menés par de grands fauves avides, gronda-t-il.
La douairière s’attendait à cet éclat. Toutes les
cours d’Europe savaient que le royaume de France était mis à sac par les
princes des Fleurs de lys, ainsi que se nommait le conseil de tutelle des
oncles du jeune Charles VI. Des fauves avides, comme le disait si
justement le duc Étienne.
Le duc d’Anjou, l’aîné de ces grands prédateurs, avait
eu l’heureuse idée de mourir l’année précédente. Mais ses frères, les ducs de
Berry et de Bourgogne, continuaient à se disputer le pouvoir, et gouvernaient
en nom et en place de leur royal neveu, abusant sans vergogne de sa jeunesse
pour leur plus grand profit.
Quant au roi lui-même, il ne montrait aucun goût
pour la politique. Bien qu’il allât sur ses dix-huit ans, il continuait de s’accommoder
fort bien du gouvernement des princes des Fleurs de lys qui le laissait libre
de son bon plaisir. On le disait aimable et fort beau, mais de nerfs fragiles
et d’esprit léger. Il était entouré d’une coterie de jeunes gens, si bien
nommés « jeunes loups affamés », qui n’aimaient que le luxe, les
fêtes, les tournois… et l’amour.
— Et croyez-vous que je sois si impatient de
mettre Isabelle dans une telle cage, bougonna Étienne en se faisant servir du
vin par un
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