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Eclose entre les lys

Eclose entre les lys

Titel: Eclose entre les lys Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Chantal Touzet
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n’était guère la couleur de Dieu. Un seul cierge y
brûlait tout à côté d’un crucifix et d’un énorme livre à couverture de peau
regrattée à fermail d’or.
    — Prions, madame, ordonna sèchement la
duchesse de Bavière en s’agenouillant sur un prie-Dieu. Prions !
    Et elle s’abîma dans des oraisons, abandonnant
Jeanne à sa perplexité. Cette dernière s’agenouilla à son tour sur un prie-Dieu.
Le silence était total, à peine troublé des marmottements incompréhensibles de
Thadée Visconti. Incapable de réciter la moindre patenôtre, la duchesse de Brabant
jeta un coup d’œil frileux autour d’elle. Sur les murs, sirènes, chimères, dragons
et autres monstres se disputaient les tentures des murs avec des
représentations du péché de luxure sous toutes ses formes, en images hautement
suggestives. Sur le plafond à voussures romanes était peint le Christ en Croix,
suant le sang. Il couvrait de sa douleur rédemptrice toutes les turpitudes
humaines de ce bas monde, réunies dans cet espace exigu. Le vitrail en était
sans doute la conclusion, la justice divine triait le bon grain de l’ivraie. Jeanne
se douta qu’ici, nul prêtre n’avait jamais servi la messe mais qu’il s’y
déroulait des offices d’un tout autre genre.
    — Il faut combattre les forces du mal avec
les mêmes armes qui appellent les forces du bien, dit tout soudain la Visconti.
La prière ! Prier Satan, c’est l’apprivoiser. Il est un ange déchu, mais
un ange, les oraisons à son adresse le flattent. Ainsi, on obtient son soutien
contre ses ennemis bien plus efficacement que celui de Dieu, épuisé de
sollicitations.
    Jeanne fut incapable de répondre. Sa gorge était
nouée, elle était glacée jusqu’aux os. L’esprit du mal était tenu pour aussi
puissant que celui du bien, et capable d’intervenir efficacement dans les
affaires des hommes. Et le fanatisme religieux était toujours plus démoniaque
que divin.
    — Nul doute que ma fille s’en ira loin
par-devers moi au pays des Français, suppôts du pape schismatique d’Avignon.
    Thadée Visconti était italienne, elle honorait
naturellement le pape de Rome.
    — Et si je ne puis appeler sur ma fille la
protection divine en ce royaume d’hérésie, je peux en appeler au Diable sur sa
protectrice, vous-même, madame !
    Jeanne eut un long frisson.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Que si ce n’est Dieu, le Diable se fera le
garant de vos promesses.
    Thadée se leva et alla prendre le livre sur l’autel,
elle le baisa dévotement puis le présenta à Jeanne.
    — Posez votre main droite sur ce livre sacré,
madame, et répétez après moi.
    Jeanne, toujours à genoux, obtempéra presque avec
soulagement. Il ne s’agissait que de jurer sur un livre qui était sans doute
plus cabalistique que biblique. Dieu la tiendrait quitte de ce serment. Elle
répéta après Thadée :
    — Moi, duchesse de Brabant, jure sur ma
foi de garder Isabelle de tout commerce charnel avec Charles le sixième, roi de
France, avant qu’elle ne se purge pour la première fois et qu’elle ne soit
femme.
    Reposant le livre, Thadée se lança ensuite dans
une incantation dans une langue que la duchesse de Brabant ne comprit pas.
Avec horreur, celle-ci la vit prendre ensuite le crucifix de l’autel et le
retourner. Puis elle le brandit la tête en bas, et se mit à psalmodier, se
balançant d’avant en arrière, les yeux révulsés vers le ciel :
    — Si le sang Isabelle n’a pas, qu’il se
retourne aux veines du parjure, et la veine inférieure gonfle et noue et rompt
et que la plaie suinte, et pue et souffre année après année au gras de la jambe,
et qu’elle finisse et sèche et se ferme le temps d’une lunaison, de façon que
les humeurs pourrissent le corps en dedans, membre après membre, avant une
douloureuse mort.
    Jeanne de Brabant se releva, plus blanche que
morte. Cette femme était en train de lui jeter un sort. Le crucifix inversé est
un signe du culte voué à Satan. Cette femme était une sorcière, elle n’en
doutait plus.
    — Madame, l’Église condamne tout commerce
démoniaque. Craignez que votre malédiction ne se retourne contre vous.
    — Que nenni, souffla Thadée. À votre pâleur, je
sais que vous garderez Isabelle du roi. L’intervention des forces du mal ne
sera pas nécessaire, grâce à Dieu, ajouta-t-elle, fielleuse.
    Avec colère, Jeanne quitta l’oratoire infernal. Elle
fit quelques pas dans la galerie où la

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