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Edward Hopper, le dissident

Edward Hopper, le dissident

Titel: Edward Hopper, le dissident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Rocquet
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l’étalage, un objet. Il entrait. Il faisait connaissance de M. et Mme Hopper, du petit qui n’avait pas classe ce jour-là. Il achetait la chose qu’il avait aperçue, ou une autre. Il devenait client. Il se fidélisait . Edward Hopper, quand il apprendra le dessin publicitaire, l’art de l’affiche, connaîtra les mécanismes du commerce, les principes de la séduction, l’attrape-mouches. Il aura su très jeune l’art mercantile de l’étalage, de la vitrine ; c’est un art  : de disposition, de composition, d’apparence, d’élégance ; et le contraire de l’art, sa singerie : ce que le slogan est au proverbe, au poème ; ce que la prostitution est à l’amour ; un art de mensonge, une rhétorique, un stratagème, le fourvoiement de l’esprit, son asservissement. Il s’agit d’attirer l’attention de celui qui passe, distrait, de la retenir, d’en tirer profit. « Le temps, c’est de l’argent » : il s’agit de voler votre temps, votre vie, votre être, pour en faire de l’argent.
    La vitrine est une scène, un spectacle, une installation . Peintre, figurant la vie américaine, Hopper montrera les panneaux publicitaires le long des routes et les enseignes. Peut-être se dira-t-il : « J’aurais donc pu toute ma vie travailler pour une marque d’essence ou de bicyclette, inventer leurs emblèmes, faire l’éloge de la savonnette et du shampoing, servir une chaîne d’hôtels et de palaces, dessiner et peindre des affiches
de paquebots pour les agences de tourisme. J’aurais été l’esclave de mon talent, un rouage de leurs entreprises…  » Il ne saurait dire si c’est le hasard, sa volonté, son désir qui l’a sauvé de la servitude. Sa volonté, son désir, certainement. Cette force en lui, intolérante à ce qui n’est pas elle. Ce qu’on nomme « vocation ». Un appel, une exigence ; ou bien : la seule issue.
    Personne à l’intérieur ni dans la rue. On s’attendrait à ce que le soleil éclaire des vitrines ou des façades de l’autre côté de la rue. C’est un bois, sombre, où la lumière ne pénètre pas encore, où elle aura du mal à pénétrer, qui campe là. On dirait que le peintre s’est plu à opposer la veille et le sommeil, notre vie active et notre vie nocturne, le commerce et le songe, la profondeur un peu inquiétante du rêve, enfance en nous, perpétuelle ; ou à figurer l’Amérique, civilisée , urbaine, qui s’est bâtie, construite, imposée contre les prairies et les forêts, contre les Indiens, les sauvages . Autre enfance. Et ce commerce, de mercerie ou d’autre chose, serait un comptoir . L’avancée de la civilisation plantée comme une hache, son tranchant, son éclat, dans un tronc ; et la résistance, l’hostilité inexorable de la nature, touffue, finalement indéracinable, inextirpable, insoumise, comme en nous le rêve, l’inconscient. Souvent, Hopper représentera ce conflit muet : une maison, propre, proprette, clean  ; une végétation, dense, active, taciturne, irrésistible, qui ne cède pas si facilement la place, avance, vit, avance une branche, un bras, jusqu’à toucher le bord de la fenêtre, la vitre, la heurtant de cette verte et sombre main si le vent se lève et souffle, gonflant aussi le rideau de la fenêtre restée entrouverte. L’arbre, prêt à envahir toutes les pièces, à faire craquer et se fendre les
carrelages et les planchers, crever la toiture, disloquer l’escalier.
    On aperçoit du dehors, argentée, métallique, un peu bleuâtre, verdâtre, sur le comptoir, en majesté, la caisse, qu’on écrirait volontiers « la Caisse ». En montre, quelques objets disposés avec soin et, entre eux, quelque distance, de l’espace : on discerne une boîte blanche et trois bouteilles de verre, vertes avec étiquette ; on s’étonne de voir entre elles deux images, encadrées, photographie ou peinture, inclinées, dont l’angle obscur que forme l’inclinaison répond à la verticale des bouteilles, comme s’il s’agissait d’un jeu de quilles… Il y a, au milieu de l’étalage, entre les images, un rectangle sombre, comme une pancarte, un carton, sur quoi rien ne serait écrit. Cet objet n’a-t-il pour fonction que d’équilibrer les verticales des images et des bouteilles et d’offrir un contrepoint sombre, une assise aux blancheurs et aux clartés dont la toile, puisqu’il s’agissait de peindre, et même de célébrer l’heure matinale, est prodigue ? Ce rectangle

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