Emile Zola
congénères usaient dans la réalité. Des livres sur les classes ouvrières, comme la Réforme sociale de Le Play et le Sublime de Denis Poulot, l'aidèrent aussi dans sa peinture des moeurs populaires.
Zola, pour construire un roman, se préoccupe donc d'abord des matériaux pour ainsi dire accessoires. Il donne le plus grand soin au milieu. Il dresse l'état signalétique de chacun de ses personnages.
Je ne sais pas inventer des faits, a-t-il dit, racontant à un de ses amis comment il établissait un roman. Ce genre d'imagination me manque absolument, ajoutait-il. Si je me mets à ma table pour chercher une intrigue, un canevas quelconque de roman, j'y reste trois jours à me creuser la cervelle, la tête dans les mains, et je n'arrive à rien.
C'est pourquoi j'ai pris le parti de ne jamais m'occuper du sujet. Je commence à travailler mon roman, sans savoir ni quels événements s'y dérouleront ni quels personnages y prendront part, ni quels seront le commencement et la fin. Je connais seulement mon personnage principal, mon Rougon ou mon Macquart, homme ou femme. Je m'occupe seulement de lui, je médite sur son tempérament ; sur la famille où il est né, sur ses premières impressions et sur la classe où j'ai résolu de le faire vivre. C'est là mon occupation la plus importante...
Muni de ses notes, des détails qu'il se procurait par des enquêtes personnelles, par des renseignements sollicités à droite et à gauche, par des lectures, jetant sur le papier quelques brèves indications destinées à servir de points de repère, il déposait sous une chemise ce butin documentaire. Chaque personnage avait sa fiche. Il procédait ainsi à la façon d'un juge d'instruction, préparant un dossier criminel, ou d'un avocat général recueillant sur accusés et témoins, tous les rapports, tous les constats, qui lui serviront à prononcer son réquisitoire devant le jury. Zola n'abordait le public qu'avec un dossier complet et en état.
Il ne voulait rien laisser à l'imagination, à l'hypothèse, et son roman était, à ses yeux, un livre d'enquête et un résumé d'observations physiologiques, sociales et humaines.
Ainsi compris et appliqué, le roman dit «naturaliste» se distingue d'un travail littéraire, plus ou moins perfectionné, destiné uniquement à montrer l'humanité dans ce qu'elle a de laid, de bas, de malpropre, de honteux et de misérable, et le romancier cesse d'être considéré comme un boueux et un scatologue, parce qu'il a tenu compte, dans son oeuvre, de ce qui existe dans la nature.
Assurément, on peut reprocher, surtout aux imitateurs de Zola, d'avoir systématiquement recherché la sanie et l'ordure. Zola, dans tous ses livres, a réservé la part de l'idéal, et c'est faire montre d'ignorance ou de parti pris que d'affirmer, comme on l'a tant de fois répété, d'après une bouche éloquente, qui, depuis, s'est rétractée :
Il prête à tous ses personnages l'affolement de l'ordure... jamais homme n'avait fait un pareil effort pour avilir l'humanité, insulter à toutes les images de la beauté et de l'amour, nier tout ce qui est bien et tout ce qui est beau. Jamais homme n'avait à ce point méconnu l'idéal des autres hommes...
Nous verrons, en examinant de près chaque oeuvre de Zola, combien ce violent réquisitoire, qui a fait jurisprudence, était injuste et inexact. Zola a considéré et pratiqué son système, qualifié par lui de naturaliste, comme l'étude scientifique et expérimentale de l'homme dans la société. Il l'analyse, comme être pensant, avec ses vices, ses passions, ses qualités, ses prédispositions, ses attaches consanguines, ses affections héréditaires, ses préjugés d'éducation, tout cela relativement au milieu où il s'agite. Il procède à ce travail analytique avec le manque absolu de parti pris, qui doit animer le vrai savant faisant une opération intéressante. Il se campe, la plume transformée en scalpel, devant de la chair, devant de la réalité. Il dissèque avec précision et observe avec méthode. Il a la patience et la sagesse d'un Cuvier étudiant un animal peu connu. Il use du microscope et s'arrête, charmé, quand il a surpris tel filet nerveux jusque-là négligé. C'est à l'oeuvre du naturaliste que peut, avec justesse, se comparer la tâche de cet écrivain biologiste et physiologiste.
Ce labeur, cette sévérité de moyens, cette scrupuleuse attention, ce souci du détail, cette patiente
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