Emile Zola
lorsque la chute des Bonaparte, dont j'avais besoin comme artiste, et que toujours je trouvais fatalement au bout du drame, sans oser l'espérer si prochaine, est venue me donner le dénouement terrible et nécessaire de mon oeuvre. Celle-ci est dès aujourd'hui complète. Elle s'agite dans un cercle fixe. Elle devient le tableau d'un règne mort, d'une étrange époque de folie et de honte.
Zola aurait certainement pu sortir du champ où il décidait de se clore.
Nul ne se serait plaint, ou n'eût songé à critiquer. Les Trois Villes et les Trois Évangiles sont en dehors de l'époque et du milieu, où l'auteur s'était parqué avec ses Rougon-Macquart, et cette évasion du milieu impérial n'a soulevé aucune objection. Mais il tenait à exécuter de point en point le plan qu'il s'était tracé. Comme il ne laissait rien au caprice, ni à l'imprévu, dans la composition de chaque ouvrage, pris séparément, il entendait montrer que l'ensemble de ses oeuvres avait été soumis à un devis général, à un avant-projet complet et définitif, dont il ne pouvait ni ne voulait s'écarter. Il partageait l'opinion de Charles Baudelaire, qui disait, dans sa dédicace à Arsène Houssaye des Petits Poèmes en prose :
Sitôt que j'eus commencé ce travail, je m'aperçus que je restais bien loin de mon modèle, mais encore que je faisais quelque chose de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s'enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu'humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus grand honneur du poète d'accomplir juste ce qu'il a projeté de faire.
Avec une coquetterie vaniteuse, Zola affirmait que, dès la Fortune des Rougon, c'est-à-dire en 1870, il avait composé patiemment l'arbre généalogique des Rougon-Macquart. Il ne convient pas d'attribuer à ce tronc l'importance que son arboriculteur lui donnait. Peut-être, pourtant, est-ce à sa plantation qu'il convient de rapporter l'obstination de Zola, malgré la chute de l'empire, alors qu'il n'avait composé que deux de ses romans, la Fortune et la Curée, à se renfermer dans les vingt années impériales.
L'antériorité de son «arbre», servant à démontrer celle du plan, n'a qu'un intérêt anecdotique. C'est une preuve chronologique de composition, aussi. Si l'on contestait que la conception totale des Rougon-Macquart dût remonter à 1870, on ne saurait douter qu'en 1878 tout ce vaste drame, avec ses multiples personnages, n'eût déjà ses décors dessinés et ses rôles distribués. Cet arbre-scénario a été publié avec la Page d'Amour, et j'ai sous les yeux l'exemplaire du journal le Bien Public où il parut pour la première fois.
C'est dans le numéro de ce journal portant la date du 5 janvier 1878 que ce tableau fut donné. Il tenait, à la 2e page, tout le rez-de-chaussée. Il était composé à la façon de ces états généalogiques, dressés par des hommes d'affaires spéciaux, fabricants d'ancêtres pour roturiers, ou pourchasseurs d'héritiers pour successions vacantes. Toute la famille, on devrait dire la dynastie des Rougon-Macquart, se trouve là enregistrée, baptisée, avec ses lignes et ses degrés. Chaque membre est pourvu des mentions ordinaires d'état civil. Un signalement médico-légal accompagne l'indication généalogique. Les tares héréditaires, les prédispositions morbides, les influences psycho-physiques sont précisées, comme dans un procès-verbal d'autopsie.
On peut retrouver, dans cette nomenclature aux prétentions scientifiques peut-être excessives, les principaux personnages des divers livres de Zola, depuis le Pierre Rougon du premier volume de la série, jusqu'au docteur Pascal qui la termine.
Peu importe l'époque à laquelle ce plan a été combiné, l'intéressant c'est qu'il ait été complètement suivi et patiemment réalisé. L'idée première de faire figurer, à tour de rôle, les mêmes personnages dans des romans distincts, remonte à Balzac. Le procédé a ceci d'excellent et de logique, qu'il rapproche de la réalité les êtres de fiction. Dans la vie, on se trouve nécessairement en rapport avec les mêmes personnes, on se croise, on se côtoie et dans des circonstances très différentes. Nul ne peut s'abstraire de ses contemporains. Leur existence se mêle à la vôtre. En sa Comédie Humaine, Balzac avait, outre ses protagonistes, introduit tout un personnel secondaire. Il disposait d'une très complète figuration, qui lui servait pour sa
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