Emile Zola
visite dans le jardin,-la soirée de Mme Deberle,-la scène d'amour dans la chambre rose, et aussi ce délicieux croquis de la petite Jeanne jouant toute seule à la Madame en course d'emplettes dans Paris, et faisant arrêter Jean, un cocher imaginaire, à la porte de fournisseurs invisibles.
Deux scènes sont remarquables entre toutes : le bal d'enfants et l'enterrement.
À ce bal, le petit Lucien, le fils du docteur, et, comme tel, maître minuscule de la maison, est en marquis. Un mignon petit marquis, haut comme ça, avec l'habit de satin blanc broché de bouquets, le grand gilet brodé d'or et les culottes de soie cerise.
De plus, orgueil inexprimable, il porte l'épée en quart de civadière. Comme un familier du Régent, il a le tricorne sous le bras, la tête poudrée. On lui a appris à saluer et à offrir le bras. Il est charmant. Il conduit à leur place, selon la leçon qui lui a été faite, d'un air tout à fait marquis, les petites laitières, les chaperons rouges, les espagnoles, les pierrettes qui font leur entrée dans le salon. Mais, quand sa petite amie Jeanne arrive, il n'offre plus le bras à personne, et lui dit brusquement et ardemment : «Si tu veux, nous resterons ensemble !»
Tout marquis doit avoir sa marquise, dame ! C'est qu'aussi Jeanne est si charmante ! Elle porte un costume de japonaise, la robe brodée de fleurs et d'oiseaux bizarres, tombant jusqu'aux pieds. Son haut chignon est traversé de longues épingles, et l'enfant, au fin visage de chèvre, semble une véritable fille d'Yeddo marchant dans un parfum de benjoin et de santal.
La fête enfantine se poursuit. Une bousculade joyeuse d'enfants bariolés, nappe de têtes blondes, où ondulent toutes les nuances du blond «depuis la cendre fine jusqu'à l'or rouge avec des réveils de noeuds et de fleurs».
Puis c'est le goûter avec sa salle féerique, où sont entassés tous les gâteaux, toutes les sucreries que la plus inventive gourmandise peut faire concevoir, «un goûter gigantesque, comme les enfants doivent en imaginer en rêve, un goûter servi avec la gravité d'un dîner de grandes personnes».
Après le goûter, c'est la danse : spectacle fantastique et charmant que «ce carnaval de gamins, ces bouts d'hommes et de femmes qui mélangeaient là, dans un monde en raccourci, les modes de tous les peuples, les fantaisies du roman et du théâtre. On aurait dit le gala d'un conte de fées, avec des amours déguisés pour les fiançailles de quelque prince charmant.»
Comme contraste à ce tableau d'une couleur si délicate, et si vive à la fois, voici l'enterrement de la pauvre Jeanne. Autour du corbillard de l'enfant doivent prendre place des petites filles. Selon l'usage, on les a habillées de blanc. Elles sont joyeuses dans leurs jolies robes neuves, et descendent au jardin, en attendant l'heure du convoi. Une volée d'oiseaux blancs lâchés. Hélène, la mère douloureuse, les aperçoit, et un souvenir cruel la frappe en plein coeur. Elle se rappelle le bal de l'autre saison, et la joie dansante de tous ces petits pieds. Toutes ces fillettes en robes blanches lui apparaissent dans leurs joyeux costumes : laitières, chaperons rouges, alsaciennes, folies et marquises. Mais une manque à la folle ronde, l'étrange et maladive Japonaise au chignon élevé, traversé de longues épingles... Et, plus tard, au retour du cimetière, quand il s'agit de donner à goûter à toutes ces petites filles blanches, un goûter presque aussi beau que celui du bal, Lucien n'offre-t-il pas à une autre petite fille, sa nouvelle amie, blanche et frêle, qu'on nomme Marguerite, et qui a de fins cheveux d'or pâle, de rester avec lui et d'être sa petite femme, puisque Jeanne n'est plus là ?...
Un personnage étonnant, qui tient une large place dans le drame, la place du Choeur dans les tragédies d'Eschyle, assiste à toute l'action, témoin impassible et acteur inconscient, c'est Paris.
Avec hardiesse, Émile Zola a fait entrer Paris, la ville énorme, dans le cadre étroit de son oeuvre. Il a donné un premier rôle au Trocadéro, et fait de Sainte-Clotilde, une utilité. La Seine, les buttes Montmartre, les cimes vertes du Père-Lachaise, les verrières blanches du Palais de l'Industrie, la coupole ventrue des Invalides, le carré morne du Champ-de-Mars, tout cela prend part aux événements, donne une sorte de réplique muette aux sentiments des personnages. Ces tableaux du Paris extérieur, vu par masses et de
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