Emile Zola
haut, sont des fresques brossées avec une largeur et une sûreté de main étonnantes.
À la description de ce Paris monumental, qu'Hélène et sa fille voient du haut des pentes du Trocadéro, vient s'ajouter l'étude large et minutieuse à la fois des ciels, ces ciels de Paris, si variés, si mobiles et si beaux ! Il en est deux ou trois descriptions, notamment celle du coucher de soleil qui termine la deuxième partie, qui sont éclatantes de couleur et de vérité. L'analyste ici fait place au peintre, comme, en maint endroit de chacun de ses livres, le grand poète qu'il y a dans Émile Zola reparaît sous le romancier.
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L'oeuvre a paru en feuilleton dans le Gil-Blas en 1886. C'est une étude d'un tempérament d'artiste que la difficulté de l'exécution étreint, roue, torture, et finalement abat, dans l'impossible réalisation de son rêve, dans l'irréalisable matérialisation de sa pensée.
Lutte d'un Jacob avec l'Ange, où Jacob ne se relève jamais vainqueur.
Zola, avec son intensité d'observation et son acharnement à disséquer le sujet étalé sur sa table anatomique, ne montre pas seulement l'abîme terrible qui sépare l'oeuvre conçue de l'oeuvre accomplie. Avec Claude Lantier, le peintre, il analyse aussi l'homme de lettres et nous met à nu, dans son Pierre Sandoz, victime fatale, passive, presque inconsciente de l'Idéal, luttant avec le Travail, les ravages du cancer de l'oeuvre.
On a dit qu'il s'était dépeint lui-même dans Pierre Sandoz. Il est évident qu'il a prêté à son écrivain, laborieux, régulier, absorbé par sa tâche, quelques-uns des sentiments, peut-être des regrets, qui ont dû traverser son âme. Comme Pierre Sandoz, Zola s'est isolé, s'est confiné dans le labeur, et a vécu, pour ainsi dire, en dehors du monde. Tels les fanatiques religieux, dans les forêts de l'Inde, dans les cellules du moyen âge. Il y a de l'anachorète et de l'alchimiste dans Zola : du Faust aussi. Il a sans doute traduit, ou plutôt confessé ses plus intimes rêveries, quand il fait dire à Pierre Sandoz, racontant son existence confisquée par la production, acharnée et rétive, qu'il a vu l'oeuvre à faire lui prendre sa mère, sa femme, tout ce qu'il aimait, lui voler sa part de gaieté ; le hanter comme un remords ; le suivre à table, au lit, partout !
L'obsession de l'oeuvre entreprise, qui vous martèle la cervelle, et vous étourdit l'âme, au point de la rendre sourde aux plus sonores commotions extérieures, cette absorption de l'homme par la chose, qui seule peut-être produit les grands artistes, et les grandes oeuvres, Zola la connut.
Mais est-il le seul de ces malades du travail, de ces intoxiqués de la pensée ? Flaubert, lui aussi, est descendu dans son oeuvre comme le gladiateur dans le cirque, avec le secret sentiment qu'il serait vaincu, mais avec la volonté aussi de lutter, ferme et droit, jusqu'au bout, se préoccupant seulement, quand ses forces seraient épuisées, et que le monstre se relèverait, plus terrible, enfonçant plus avant les ongles dans la chair, d'avoir le soin de se tourner, une dernière fois, vers le César Public impassible dans sa loge, et de tomber avec grâce.
Comme le Pierre Sandoz de Zola, Flaubert a lutté désespérément contre l'oeuvre. Tour à tour, il l'étreignait comme une maîtresse adorée, et la piétinait comme un ennemi. Il s'est épuisé dans cette double bataille. Lui aussi est mort de l'effort, et, lui aussi, n'avait vécu que pour mourir ainsi. Comme Claude Lantier et comme Pierre Sandoz, Flaubert a eu sa vie volée par le Travail et par l'oeuvre. La femme non plus n'a pas existé pour lui. Il n'avait pas le temps d'aimer, et les plaisirs courants du monde, les distractions, les bonnes causeries entre amis, les flâneries au soleil, le long des quais ou les siestes béates dans la profondeur des divans, lui semblaient de mauvaises actions, des détournements et des abus de confiance, au détriment de l'oeuvre.
Cette existence de Sisyphe roulant son rocher jusqu'à ce que le bloc vînt écraser le manoeuvre, cette claustration intellectuelle de l'artiste, ce servage cérébral, qui n'est pas tout à fait volontaire, qui n'est pas à tout fait fatal non plus, car il a parmi ses causes l'accoutumance, c'est la matière de ce roman intime, une étude philosophique plutôt que sociale ou biologique, sujet esthétique beaucoup plus que romanesque.
Il ne s'agit plus ici de la
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