Emile Zola
chair brûlante sous le dais nuptial du ciel, ayant pour lampe astrale la faucille d'or, négligemment jetée par le moissonneur de l'éternel été, dans le champ des étoiles.
VI - LES TROIS VILLES.-LOURDES.-ROME.-PARIS (1893-1897)
En écrivant sa trilogie des Trois Villes, succédant à la série des Rougon-Macquart, Zola a voulu montrer, en un panorama synthétique, la domination sacerdotale dans trois milieux différents. En même temps, il lui a convenu de prouver, une fois de plus, stratège littéraire, sa puissance dans l'art de manier les masses. Il s'est proposé d'affirmer sa maîtrise de manoeuvrier, et son incomparable faculté de metteur en scène des foules.
Ces Trois Villes, ces trois actes d'un drame, dont les Cités sont les protagonistes, Lourdes, Rome, Paris, ont une intensité d'effet différente.
Lourdes est l'oeuvre maîtresse. L'observation s'y révèle aiguë, exacte.
C'est la vérité surprise sortant de son puits ou plutôt de sa piscine. Les méticuleux détails de cette kermesse médico-religieuse sont rendus avec une netteté vigoureuse. Celui qui n'a pas visité Lourdes connaît cette bourgade, capitale de la superstition, comme s'il y était né, ou comme s'il y tenait boutique, quand il a lu le livre de Zola. Le voyageur sincère, exempt de naïve crédulité, qui, au retour d'une excursion en cet étrange oratoire balnéaire, prend le volume, y retrouve ses impressions précisées ; il lit le procès-verbal minutieux et impartial des faits qui se sont passés sous ses yeux, l'analyse de la tragi-comédie de la souffrance, avec l'espoir de la guérison surnaturelle, à laquelle il a assisté.
Lourdes apparaît comme une ville à part, au milieu de notre siècle peu disposé à la croyance religieuse, avec notre société affairée, mercantile, sportive, jouisseuse et nullement mystique, où l'aristocratie, la bourgeoisie, pratiquent le culte comme une tradition bienséante, usant des sacrements sans y attacher plus d'importance qu'à une obligation mondaine, pour faire comme tout le monde, tandis que le peuple des villes, par routine, et celui des campagnes, par ignorance craintive, fréquentent encore les églises.
C'est une sorte de Pompéï dégagée de l'amas industriel et matérialiste de l'époque. Là, comme dans une féerie, tout semble hors des temps, loin des contemporains, avec une mise en scène factice et fantaisiste, où le décor même, l'admirable paysage que le Gave arrose, paraît sortir des coulisses d'un théâtre extraordinaire.
Pour le passant désintéressé de la guérison miraculeuse, ou de l'entreprise lucrative des thaumaturges de l'endroit, cléricaux et laïques, prêtres et boutiquiers, médecins et hôteliers, Lourdes se présente comme un de ces lieux mystérieux et vénérés, berceau des religions, vers lequel l'humanité anxieuse tourne encore des regards effarés et respectueux. Qui sait ? Si l'eau de Lourdes ne guérit point, elle ne saurait faire mal ?
Et un doute, celui qui est à l'inverse du doute négatif et scientifique, le doute de la crédulité, germe lentement dans la conscience du voyageur hésitant et surpris. On lui raconte des faits surprenants, donnés comme certains. On exhibe des témoins, guéris authentiques. On accumule preuves et témoignages. Il faut avoir la tête solide et l'esprit cuirassé contre les assauts du merveilleux pour résister aux coups portés à la raison par Lourdes, dans son ambiance stupéfiante.
Le miracle se présente à la pensée, sinon comme probable et vrai, du moins comme possible et non invraisemblable. On se remémore des séries de faits inexplicables qui, sous les yeux de chacun, s'accomplissent tous les jours, sans qu'on en puisse imaginer ni en recevoir l'explication satisfaisante.
Des autorités scientifiques, un professeur à l'École polytechnique, à leur tête, essaient de démontrer la possibilité d'un corps dit astral. Les physiciens n'enseignent-ils pas l'existence, dans l'atmosphère, d'un quatrième gaz, jusqu'ici ignoré, qui n'est pas l'oxygène, l'hydrogène ou l'azote ? Et les invraisemblables expériences, pratiquées partout, de la suggestion, de l'hypnotisme ? Et les fluides ! et toutes les déconcertantes découvertes de la science moderne, l'électricité domestiquée, les ondes hertziennes, les rayons cathodiques, le radium qui éclaire, chauffe et brûle sans perdre un atome de sa magique composition ! Nous baignons dans le miraculeux. Le merveilleux
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