Emile Zola
entendu, le grand sujet de conversation, bien que la science n'en soit nullement exclue. Le but surtout de cette association serait de former un puissant faisceau pour l'avenir, de nous soutenir mutuellement, quelle que soit la position qui nous attende. Nous sommes jeunes, l'espace est à nous, ne serait-il pas sage, avant de nous serrer la main, de former un nouveau lien entre nous, pour qu'une fois dans la lutte nous sentions à nos côtés un ami, ce rayon d'espoir dans la vie humaine. Outre cet avantage futur, nous aurons celui de passer une agréable journée, chaque semaine, de vivre et de fumer quelques bonnes pipes...
Ce projet s'était trouvé facilité, par suite du loisir dû à la cessation de la collaboration aux journaux de Villemessant, et réalisé par la présence à Paris des vieux amis de Provence, membres d'avance désignés, membres exclusifs aussi, du futur cénacle de Zola. Ces idées de groupement et de concentration d'efforts et de pensées avaient été formulées, dans le roman, par Balzac, avec les Treize et les amis de d'Arthez, au théâtre, par Scribe, dans la Camaraderie, à la brasserie, par Henry Murger et ses Buveurs d'eau. Mais ces modèles de Cénacle avaient un caractère plus positif, plus pratique, plus ambitieux que les groupes que Zola sut former. Les personnages de Scribe, de Murger ou de Balzac, se devaient faire la courte échelle pour arriver aux places, aux honneurs. Les compagnons de Ferragus étaient des aventuriers sombres, presque des bandits, les amis de d'Arthez et de Rastignac, de Maxime de Trailles et de Marsay s'efforçaient surtout, en se groupant, de lutter avec succès pour la vie, c'étaient des «forelifeurs» avant la lettre et des «arrivistes» de la première heure.
Les Buveurs d'eau se coalisaient pour duper les parents, les propriétaires, les tailleurs, et finir par épouser des filles de commerçants, bien dotées. Les trois groupes à la tête desquels Zola se trouva placé successivement, groupes dont il était l'organisateur, le président et l'âme,-groupe provençal, groupe des Batignolles, groupe de Médan,-furent surtout des associations de pensées communes, d'aspirations artistiques identiques, de doctrines littéraires et de théories dramatiques ; des collaborations d'âme, sans grande préoccupation de la réussite matérielle ; des unions d'intelligences, et non des associations d'appétits.
Le dernier groupe à la tête duquel Zola se trouva porté, le groupe de l'affaire Dreyfus, fut surtout un comité d'action, de propagande et d'agitation. Lors de sa formation, Zola y vit seulement une force organisatrice propre à répandre et à imposer son sentiment, sur le problème soulevé par l'accusation, et pour entourer et soutenir l'homme dont il assumait la défense. Il ne chercha, dans ce groupement, ni un marchepied pour s'élever au pouvoir, ni un instrument de fortune. Zola, comme il y a, dans Edgar Poë, l'homme des foules, fut donc l'homme des groupes. Il n'admettait, d'ailleurs, que des cercles fermés, épurés.
De son hérédité vénitienne, et peut-être demi-autrichienne, il tenait sans doute le goût des pactes, des ententes secrètes, des accords mystérieux, des unions ignorées des profanes, des conciliabules et des réunions en lieu clos, entre initiés. Il avait comme la tradition du Conseil des Dix et des sociétés secrètes, dont Weishaupt fut l'organisateur au siècle précédent. Vivant en Italie, il eût été probablement carbonaro.
Il est assez curieux qu'il n'ait pas fait partie, chez nous, de la franc-maçonnerie. Il est vrai qu'à l'époque où il aurait pu être tenté de s'affilier la franc-maçonnerie s'occupait surtout de politique républicaine, de propagande anticléricale, de conquêtes électorales, et que ces visées militantes n'étaient pas du tout celles de Zola. Il vivait alors presque entièrement absorbé par son oeuvre, et avait toutes ses facultés d'action accaparées par son prosélytisme combatif en faveur du «naturalisme» dans le roman, et au théâtre.
Le premier groupe, celui des Provençaux, n'a pas d'histoire, ou si peu !
Il eut surtout le caractère amical. L'action extérieure des quatre ou cinq condisciples de Zola, malgré leur union cénaculaire, fut sans importance.
Au point de vue de la répercussion des idées échangées et des opinions discutées, l'influence du groupe n'apparaît ni dans l'oeuvre, ni dans la vie de Zola. On bavardait, on mangeait, on buvait,
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