Emile Zola
donc comme un révolutionnaire, un sans-culotte artistique. Villemessant le laissait terroriser le monde pictural. Il s'amusait des fureurs que soulevait «son» critique. Cela faisait de la réclame au journal. Mais les intérêts alarmés des marchands de tableaux, et aussi des peintres ayant commandes et acquéreurs, et redoutant le changement de goût de la clientèle, se coalisèrent. La publicité payante du Figaro fut menacée. Alors Villemessant se fâcha, et prit parti contre le salonnier. Il lui enjoignit de terminer sa campagne en cinq secs. Zola dut se soumettre. Il fit aussitôt paraître, chez l'éditeur Julien Lemer, ces articles inachevés qui figurèrent ensuite dans le volume Mes Haines.
Le vent de la faveur tournait. Le critique d'art évincé avait donné à l'Événement quelques portraits littéraires de contemporains fameux, signés Simplice, du titre d'un de ses Contes à Ninon. Ces articles, publiés sous la rubrique Marbres et Plâtres, passèrent inaperçus.
D'autres «fantaisies», insérées dans le Figaro, ne furent ni attaquées ni louées. Ceci déplut à Villemessant. Ce petit méridional, qui avait eu l'air de vouloir tout avaler, en arrivant, ne mordait plus. Il n'avait donc que des dents de lait ? Il était temps de passer à un autre, à un plus fort, comme chez Nicolet.
Zola résolut de se cramponner à la corde qui cassait. Il ne voulait pas se noyer. Il obtint du patron qu'il l'essayât dans un autre genre : le roman. Villemessant consentit encore à tenter cet essai, et à laisser au tenace provençal qui «le bottait», comme il disait en son langage trivial, une chance encore de s'imposer, et de conquérir sa place au grand soleil de la littérature courante.
Ce roman proposé, presque glissé subrepticement dans les colonnes de l'Événement, c'était le Voeu d'une Morte. Il parut en 1866. Je n'ai lu ce roman que postérieurement à la plupart des ouvrages de Zola, lors de la réédition, en 1889. Il ne dut pas faire grande sensation à son apparition.
Mon raisonnement est peut-être empirique et bien personnel, mais il offre une certaine vraisemblance. J'étais du groupe des Parnassiens, et nous nous réunissions régulièrement dans la boutique d'Alphonse Lemerre, chez Mme de Ricard, et l'on se signalait les nouveaux ouvrages, les auteurs débutants. Nul de nous ne parla du Voeu d'une Morte. On connaissait le nom d'Émile Zola, journaliste, critique d'art ; on ignorait Zola romancier.
C'est avec des sentiments probablement différents de ceux que j'aurais pu avoir en 1866, si ce roman m'était alors tombé sous la main, que j'ai dû, vingt-trois ans plus tard, dans ma «Chronique des Livres» de l'Echo de Paris, le juger. Le lecteur de la réédition a-t-il été exempt des influences d'époque et de métier ? Il est difficile de s'abstraire de son temps et d'oublier la chronologie, en lisant un ouvrage réimprimé.
Le nom et la célébrité de l'auteur ne sauraient être considérés comme inexistants. En ouvrant ce livre de jeunesse, on ne peut s'empêcher de savoir que le Zola du Voeu d'une Morte est bien le Zola des Rougon-Macquart. On ne peut se mettre ni au ton, ni au point du débutant. On ne consent pas à remonter jusqu'à l'époque, où, écrivain inconnu, presque inédit, le formidable et archi-célèbre auteur de l'Assommoir concevait et élucubrait cette grave bluette. On refuse l'anachronisme de l'indulgence. C'est injuste et sot, mais c'est ainsi. La gloire devient une circonstance aggravante : on juge le livre du novice de lettres avec la sévérité permise envers le profès du succès. Le Voeu d'une Morte n'est pourtant pas un ouvrage absolument détestable en soi. On en lit encore tous les jours d'aussi fades. On est, toutefois, déconcerté par ce roman, romanesque à pleurer, avec ses banalités et ses conventionnelles insignifiances. Un lecteur, d'ailleurs invraisemblable et inexistant, revenu de quelque contrée lointaine, supposé ignorant tout de Zola ; oeuvre, nom, réputation et légende, trouvant ce volume, dirait : «C'est doux, et l'auteur doit être un bon jeune homme bien sage, qui s'est appliqué à faire du Cherbuliez ou de l'Henri Gréville.» Puis il déposerait ce tome, en bâillant un peu, et n'y songerait plus, jamais plus. Mais celui qui a lu le vrai Zola, l'autre Zola, le lecteur actuel, le lecteur postérieur à la réédition de 1889, ne peut supporter cette guimauve. Qu'on y prenne goût ou qu'on le déteste, le
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