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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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pouvons-nous, bâtis comme nous sommes et comme il nous a
faits ? Ce n’est pas moi qui pèche, disait saint Paul, c’est le péché qui
se trouve en moi.
    Dès que la Thomassine vit devant
elle Dame Gertrude du Luc toute rougissante et vergognée, elle vit à quelle
novice elle avait affaire, et prise de compassion au clos de son cœur généreux,
elle la caressa beaucoup, lui fit boire un gobelet de frontignan, commanda à
Azaïs de peigner ses blonds cheveux, la parfuma aux essences musquées,
lesquelles comme on sait prédisposent à l’amour, et désirant fixer son esprit
sur un objet plus aimable que les flammes de l’Enfer, lui demanda tout de gob
quelle sorte d’homme était son amant. À quoi, Dame Gertrude qui, jusque-là,
s’était tenue sur son escabelle muette et coite, et comme paralysée par la peur
et la honte, s’anima tout soudain, et avec un grand brillement de son œil bleu,
s’écria : « Ha ! Bonne hôtesse ! Il est si beau et si
radieux, et si suave qu’il n’y a pas, je gage, dans le ciel un seul ange qui le
vaille ! »
    Content de la voir si rebiscoulée,
elle qui défaillait presque, je m’en fus aussitôt, tout courant, quérir à
l’apothicairerie ce bel ange dont pourtant on n’attendait rien d’angélique. Je
me gardai bien de lui dire où je le menais et ce qu’il allait voir, ne voulant
pas disputer comme nous l’avions fait déjà, et comptant sur la vue de la dame
pour dissiper ses résolutions héroïques. Et à vrai dire, l’effet en dépassa mon
attente, car à peine eut-il envisagé Dame Gertrude debout en cette chambre de
l’aiguillerie qu’aussitôt il perdit ses couleurs et bel et bien se pâma. Je lui
baillai sur les joues quelques petits soufflets, et Gertrude du Luc, après moi,
quelques petits baisers, et les uns et les autres faisant merveille, sa face
pâle se colora derechef et les yeux, se rouvrant, se fixèrent sur sa dame avec
un tel air d’adoration que je fus tout saisi de respect pour un sentiment si
noble et si fort. Je me retirai. Et les laissant célébrer les rites de leur
grand amour, je m’en fus tout pensif, quelque jalousie aussi me pinçant, non
pour la dame, mais pour l’inouï bonheur où je les voyais l’un et l’autre se
fondre.
    Je retournai tout courant à
l’apothicairerie car il était près de midi et je ne voulais point offenser
Maître Sanche par mon retardement. Il faisait en ce juin une si excessive
chaleur que les Montpelliérains avaient, d’une maison à l’autre, à la hauteur
du premier étage, tendu des cordelettes qui supportaient des rameaux et des
roseaux, afin que dessous on pût cheminer à meilleure guise sur le pavé ;
chacun, en outre, avait arrosé devant sa porte, tirant l’eau de son puits ou de
sa citerne, car il n’y a qu’une seule fontaine en Montpellier, celle de
Saint-Gély. Le soleil, même à travers les branchages, pesait lourd sur la tête
et les épaules des passants, qui cependant paraissaient n’en avoir cure, mais
se trantolaient dans les ruelles ombreuses, riant et clabaudant, et les droles
et mignotes s’entreregardant beaucoup. Quant à moi, courant comme j’ai dit,
c’est tout moite et tout sueux que j’arrivai au logis de Maître Sanche. La
cloche sonnait, et dans la grande salle tous étaient debout autour de la table,
attendant l’illustre maître que quelque pratique avait dû retenir en son
officine.
    — Mais où donc est votre joli
frère ? dit Fogacer.
    — Je l’ai laissé aux Trois-Rois avec un Roumieux qui le voulait régaler.
    — Et ce Roumieux ne vous a
point convié ? dit Fogacer en arquant son sourcil diabolique.
    — Nenni, dis-je d’un ton bref,
désirant discontinuer ce propos auquel la belle Typhème à ma senestre prêtait
une oreille avide.
    Majestueusement apparut enfin, se
paonnant en sa docte vêture, le très illustre maître, et incontinent s’enquit
lui aussi de Samson, sans cependant broncher à ma boiteuse excuse, comme
Fogacer avait fait, mais se dévêtant en silence de sa robe de soie noire et
remplaçant son bonnet houppé par sa petite calotte. Sur quoi, il entama son
étrange benedicite.
    — Mon beau neveu, dit Maître
Sanche dès que Fontanette eut servi la soupe méridienne, est-ce parce que vous
eûtes une matinée si aventureuse que, tout à jeun que vous soyez, vous chipotez
votre pot sans aucun appétit ?
    En même temps, combien que ses yeux
fussent bigles, son regard ne laissait pas de me

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