Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
Vom Netzwerk:
pénétrer.
    — Nenni, nenni, très illustre
Maître, dis-je, le rouge me couvrant les joues, et Typhème sur ma senestre
m’envisageant curieusement de côté mais sans tourner la tête. Rougissant je le
fus davantage quand, à mon infini étonnement, Maître Sanche se mit à raconter,
comme s’il avait été présent, mon entrevue avec M. de Joyeuse et mon combat
avec Caudebec aux Trois-Rois. Il s’arrêta là, mais ne doutant pas qu’il
connût aussi la suite, je me tins fort coi sur mon escabelle, comprenant tout
soudain, ce qui me fut confirmé par Fogacer, qu’entre les marranes de
Montpellier, les nouvelles courent comme l’éclair, ces bonnes gens vivant dans
la crainte que quelque remuement du populaire ou des prêtres pût mettre en
danger, comme autrefois en Espagne, leur sécurité et leurs biens.
    — Où que soit Samson, dit
Maître Sanche après un silence, je lui souhaite d’être heureux, son mérite
étant insigne. Outre qu’il a beaucoup à se glorifier dans la chair –
bénédiction du ciel non seulement pour lui-même mais pour ceux qui
l’approchent – Samson a un grand appétit du bien, son cœur est aussi pur
que le ciel le plus azuréen, et il éprouve pour le genre humain une tendresse
infinie. Quant à moi, je suis excessivement touché et de sa beauté ravissante
et de sa rare vertu. Gratior et pulchro veniens in corpore virtus [30] .
    Je dois confesser que cet éloge,
auquel fort peu je m’attendais, de mon bien-aimé Samson, m’émut tant qu’il me
mit les larmes au bord des cils.
    — Cependant, continua le très
illustre maître, en m’envisageant d’un air tout à la fois de gravité et de
gausserie, Samson n’a point le cerveau ni la langue si déliés que d’aucuns que
je pourrais dire. Ayant sa demeure dans le ciel, il est embarrassé à vivre dans
le monde bourbeux où nous avons la nôtre et il a fort besoin à ses côtés d’un
frère plus terrestre pour lui démêler ses chemins, frater qui arranti
comiter monstrat viam [31] .
    À cela, je baissai les yeux et me
tins coi devant ma soupe, ne sachant si cet éloge du frère plus terrestre était
seulement de l’or, ou moquerie de plomb, ou destiné à me faire entendre que le
très illustre maître savait tout. Mais peut-être eût-on pu trouver un peu de
tout cela en ce discours de Maître Sanche, lequel, en dépit de sa piaffe et de
sa pompe latine, était plus subtil que je n’aurais pensé. Ce qui ajoutait à mon
embarras, c’est que les sibyllines paroles de l’apothicaire avaient fait de moi
la cible de tous les yeux, tant est que je ne laissais pas d’être marri à être
ainsi tenu sur la sellette, sentant sur moi à dextre et à senestre peser le
regard de Fogacer, sous l’arc de son noir sourcil, et celui, plus furtif, de
Typhème, celui-là étant jeté de côté, et entre deux battements de ses longs
cils.
    — Mon beau neveu, poursuivit
Maître Sanche en lapant et happant sa soupe avec des sifflements que M. de
Joyeuse n’aurait pas trouvés trop civils, M. le Bachelier Fogacer vous dira,
comme il me l’a dit à moi-même, que votre gentil frère Samson mord assez mal à
la logique et à la philosophie (où notre Fogacer pense, en revanche, que vous
brillerez un jour, les esprits vitaux passant plus subtilement en vous du sang
aux nerfs, du nerf à l’idée, et de l’idée au mot). Hélas, Samson est lent,
ayant la tête peu conceptive, la parole rare, l’argument entravé, et peu de
goût, au demeurant, pour ces viandes creuses, préférant les choses qu’il peut
voir, palper, humer. Mais si Samson a peu d’appétit pour les arguties des
logiciens, comment se fera-t-il jamais aux chicaneries des avocats, et lui qui
est si pur, à la chicheté des juges ? Maître François Rabelais disait
bien, qui tenait que « le Droit n’était qu’une belle robe d’or brodée
de merde  ». D’autant que le collège Saint-Benoît, où il est enseigné
en Montpellier, brille de fort peu d’éclat, n’y étant là que trois teigneux et
un pelé de légistes, tous papistes zélés, hargneux et rassottés qui n’aiment
point les écoliers huguenots et le feront bien voir à Samson en refusant son inscription.
C’est pourquoi, considérant l’extraordinaire amour que porte votre gentil frère
à l’apothicairerie, mon avis et conseil est qu’il soit dirigé en cette voie
qui, si ma remembrance est bonne, fut aussi celle de votre grand-père Charles à
Rouen. Et plaise à Dieu que

Weitere Kostenlose Bücher