En Nos Vertes Années
votre père y consente et qu’on puisse dire un jour
de Samson ce qu’on dira de moi : Scire potestates herbarum usumque
medendi maluit, et mutas agitare inglorius artes [32] .
Que le très illustre maître fût sans
souci de gloire (inglorius ) en l’exercice de son paisible métier (mutas
artes), c’est ce dont je ne voudrais jurer. Néanmoins, j’éprouvai la plus
vive gratitude pour son paternel intérêt et d’autant que les compagnons
apothicaires, s’ils n’avaient droit au titre d’Écoliers, étaient cependant
admis à suivre les cours du collège royal de médecine, sans pour autant qu’on
eût à les inscrire ni à exiger d’eux d’être aussi bien nourris ès arts que les
futurs médecins. Si donc la chose se faisait, j’aurais plus souvent mon Samson
près de moi, jouissant de sa radieuse présence et à l’occasion, comme avait dit
Maître Sanche, « démêlant ses chemins ».
J’acquiesçai donc d’un cœur joyeux à
cette proposition, et avec mille mercis pour sa sollicitude, je dis à
l’apothicaire que j’allais en écrire à mon père. Sur quoi se testonnant de ses
doigts sa longue barbe grise, où pour dire le vrai, se voyaient quelques
reliques et reliefs de sa soupe, le très illustre maître se tourna fort content
vers Fogacer et commença à s’enquérir des malades de Rondelet que le Bachelier
avait le matin visités, descendant là derechef à ces détails qui, si la
médecine n’avait été mon art, m’eussent fort dégoûté.
— Et le pus, Fogacer ?
Comment était le pus ? Liquide ? Onctueux ? Jaunâtre ?
Sanguinolent ?
Mais avant que Fogacer eût pu
répondre, il se tourna vers moi et me dit :
— Mon beau neveu, je vous vois
tordre le nez à ces propos. Reprenez cœur. La pisse, le bren, le pus, les
humeurs sont le lot de notre profession. Et quand les légistes de Montpellier
affectent là-dessus de nous dépriser et ont le front de dire : Stercus
et urina Medici sunt prandia prima [33] , nous ne manquons
pas de répondre, comme autrefois Maître François Rabelais : Nobis sunt
signa. Vobis sunt prandia digna [34] …
On rit à ventre déboutonné de cette
bonne gausserie. Et là-dessus, Fogacer répondit d’abondance et dans les termes
les plus crus aux questions du très illustre maître. J’observai que Typhème
elle-même, sa soupe prise à la becquée avec la délicatesse que j’ai dite, ne
battait pas un cil à ces peu ragoûtants propos, y étant, je gage, accoutumée,
mais restait sagement assise sur son escabelle en sa mauresque beauté, la tête
droite, les mains croisées en son giron, et envisageant son père avec autant
d’infini respect que s’il avait été Moïse descendant du Sinaï. Quant à Luc,
ayant, comme tous en cette tablée, l’habitude d’ouïr et non pas d’être ouï, il
restait coi lui aussi, mais écoutait d’une oreille avide, faisant son butin et
picorée de tout ce qui se disait. Aussi laid que sa sœur Typhème était belle,
et ayant le nez long et tordu et la face quelque peu de travers, il ressemblait
étrangement à son père, sauf qu’il n’était pas bigle et n’avait point une
épaule plus haute que l’autre. Cependant, à l’intérieur de cette charnelle
enveloppe, c’était le même feu brûlant et la même inextinguible soif, sa jeune
vie ne se donnant pas d’autre but que le docte savoir.
Ce jour-là était un vendredi et
restant dans ma chambre à lire l ’Organon d’Aristote, lequel traité
expose sa logique, et cette lecture, je gage, me desséchant et aussi la grande
chaleur et touffeur de cet après-midi, je descendis plus d’une fois à la
souillarde quémander un gobelet d’eau fraîche que Concepcion, la cuisinière
marrane, une grosse mamelue fort rechignée, me baillait comme s’il lui en eût
coûté. Et je ne laissais pas, à chaque dévalade, d’observer avec surprise le
remue-ménage qui se faisait au logis ce jour-là, les aides de l’officine
allant, venant en un grand tintamarre de seaux entrechoqués, jetant de l’eau
sur les carrelages et les brossant avec de grands balais. Quant à Fontanette,
je la vis en passant dans la salle, le rouge aux joues et le corps de cotte
fort délacé (ce qui me tira l’œil), labourant, à perdre haleine, à repasser des
chemises pour toutes et tous en cette maison, et plus tard, les portant d’étage
en étage et de chambre en chambre, à ce que je compris.
Me remettant à l’Organon et
pensant avec mélancolie que mon
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