En Nos Vertes Années
dois-je ! Mais comment
savez-vous mon nom ?
— Mon lit, dit la Thomassine,
est plus bavard et clabaudeur que dix confessionnaux, et combien que ma petite
oreille reçoive de secrets céans, ma langue ne les répète pas. Que vous
faut-il ?
— Une chambre, Madame, pendant
cinq ou six jours.
— Mon noble moussu, vous êtes
cadet du Périgord, écolier en médecine, et point trop pécunieux : ce sera
pour vous six sols le jour.
— Madame, dis-je, grand merci.
Mais je ne voudrais point mésuser de vos bontés. Ce n’est pas moi qui paye,
c’est la dame, laquelle est étoffée.
À cette naïve remarque, la
Thomassine renversa en arrière son beau cou blanc, et les tétons houleux, rit à
gueule bec à se mouiller les yeux.
— Pardi, moussu ! Vous me
plaisez ! Vous êtes franc comme écu non rogné ! Et fort joli !
Et piaffant comme étalon au vert ! Ce sera donc dix sols ! Allez
chercher votre dame sans tant languir ! Où l’avez-vous laissée ?
— En l’église Saint-Firmin, à
faire ses dévotions. Hélas, elle n’est pas mienne, mais à mon frère. Plût à
Dieu qu’elle fût ma dame, car en ces derniers dix jours je n’ai embrassé que le
vent.
— Si je vous entends bien, dit
la Thomassine en riant, à ce bout-là aussi vous êtes affamé ! Mais
dites-moi, la dame de votre frère est donc si belle que vous la
convoitiez ?
— Ha, Madame, elle n’est point
la moitié aussi belle que vous, étant d’un blond de paille qui paraît fade au
regard de votre noir de jais !
À cela, la Thomassine rit encore et
quelle gaie et grisante musique faisait ce rire-là !
— Azaïs, as-tu ouï ce
galant ? Comme il est adroit, en son jeune âge, à jouer du plat de la
langue ! Et de l’œil ! Vierge Marie ! Il en sort des
flammes ! Azaïs, qu’allons-nous faire de ce pauvre et de sa stridente
faim ?
— Le contenter, Madame. La
charité le veut. Après la panse, vient la danse.
— Eh bien, c’est parler,
cela ! dit la Thomassine. Monsieur, on vous dit vaillant. Voilà votre
citadelle, reprit-elle en se levant, le feu aux joues et déjà tout escambillée.
Sus ! Sus ! À l’assaut ! Point de quartier !
— Quoi, Madame ! Un assaut
à cette heure ! Et cette dame qui attend !
— Qu’elle prie ! Qu’elle
prie Dieu, puisqu’elle va l’offenser ! Et tant plus elle priera, tant plus
aura l’âme légère quand viendra le plaisir. Allons, moussu, de refus point ne
veux. Azaïs, ferme l’huis sur nous. Et ne va pas coller l’oreille ou l’œil à la
serrure, ou je te fouette ce soir comme seigle vert.
Je ne sais qui de la Thomassine ou
de moi porta l’autre dessus le lit, mais nous y fûmes en un battement de cils,
notre vêture ôtée et jetée à la diable et les rouges rideaux refermés sur nous
comme sur l’enfantelet futur le ventre de sa mère. La face entre les beaux et
gros tétins de cette bonne garce, je prenais ma racine et tout soudain
m’envolai si haut, si haut qu’à peine j’en crus mes sens ravis. Ha !
pensai-je au comble de l’émerveillement. Est-ce bien moi qui suis céans, tant
bien logé et reçu ?
*
* *
Ces plaisirs finis, qui toujours
finissent trop tôt, il me fallut beaucoup courir, et d’abord sauter jusqu’à
l’église Saint-Firmin, où j’aperçus Dame Gertrude du Luc à genoux,
gracieusement abîmée en ses prières devant une statue de la Vierge, un voile
noir fort épais sur ses beaux cheveux de paille dont j’avais osé médire. Elle
avait élu la mère de Jésus pour son intercession, cuidant peut-être que Marie
étant femme, elle comprendrait mieux les scrupules et les désirs qui la
partageaient. Je la vins par derrière toquer tout doux à l’épaule et quand elle
se retourna, je vis que des larmelettes mouillaient sa belle face, soit de sa
conscience venues, soit de mon retardement, car elle me dit à voix basse, avec
un soupir fort piteux, qu’elle désespérait de me voir. Je ne voulus pas perdre
plus de temps en excuses et civilités et lui dis de me suivre à dix pas chez
une dame de mes amies – ce qu’elle fit incontinent, cachant ses traits
sous un masque dont elle s’était munie. Son visage ainsi dérobé, elle traversa
la rue qui séparait l’église papiste de l’aiguillerie où quotidiennement se
célébrait un culte tout autrement idolâtre, j’entends celui de nos corps
périssables. Hélas, j’en tombe bien d’accord : l’homme ne devrait aimer
que Dieu. Mais le
Weitere Kostenlose Bücher