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En Nos Vertes Années

En Nos Vertes Années

Titel: En Nos Vertes Années Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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l’escalier,
insoucieux de Samson qui n’avait pas encore réapparu et sachant combien il est
facile d’oublier le temps dans les délices où il était. Quel ne fut pas mon
étonnement, au terme de ma dévalade, de trouver la maison partout illuminée, et
des chandelles neuves remplaçant partout les anciennes qui, cependant,
n’étaient point consumées à fond dans les bobèches, comme je l’avais observé la
veille. Je ne voulus point cependant demander à mon hôte les raisons de cette
soudaine et prodigale illumination, pas plus que des autres étrangetés qui, à
ce jour, m’avaient frappé dans le ménage de sa maison, sans même compter ce
feu, que Fontanette, le lendemain, devait, en ce juin étouffant, allumer dans
ma chambre. Cependant, après le chiche repas, retiré avec Fogacer sur la
terrasse du logis et y prenant le frais, et regardant la ville dans le jour
finissant, je m’ouvris au Bachelier de mes étonnements.
    — Ha, Siorac ! dit-il, il
est temps que vous le sachiez, vivant comme moi en ce logis ! Les marranes
sont des tortues.
    — Des tortues ? dis-je.
Qu’est-ce donc à dire ?
    — Des tortues, dont la carapace
est la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, laquelle fut autrefois
au Portugal et en Espagne leur grande et cruelle persécutrice. Ayant donc de
force forcée adopté la religion des tyrans qui les opprimaient, ils en ont fait
un bouclier pour se défendre contre le renouveau de cette oppression.
Cependant, sous cette carapace qui leur pèse au dos mais aussi les protège, bat
leur cœur de tortue. Et celui-là est resté hébraïque et pieusement fidèle à
leur ancienne religion. Et c’est là l’explication de toutes ces bizarreries qui
vous ont ce jour étonné. Demain, samedi, est pour Maître Sanche le vrai
sabbath, et la raison aussi de ce grand remuement que vous avez vu ce
jour : le lavage de la maison, le changement du linge, le logis illuminé.
    — Mais le feu, demain, dans ma
chambre ?
    — Ha, cela est plus
subtil ! dit Fogacer en riant. Et Ulysse n’aurait pas trouvé mieux !
Comme vous savez, pas un Hébreu, le jour du sabbath, ne doit toucher le feu, et
celui de Concepcion restant éteint demain tout le jour, nous ne mangerons que
viandes froides. Mais il y a là pour nos marranes un grand péril. Car il se
pourrait que d’aucuns voisins qu’aigrit la fortune de Maître Sanche, prennent
quelque soupçon à ne point voir le samedi la fumée monter aux heures des repas
de notre terrasse, et pourraient confier ces soupçons aux prêtres. Lesquels
aussitôt iraient remuant. Et, Siorac, c’est là l’astuce : le conduit de
votre cheminée et celui de la cuisine ont même issue, et Fontanette, qui n’est
point marrane et peut au feu toucher, va l’entretenir aux bonnes heures dans
votre chambre, produisant ainsi assez de fumée sur notre toit pour non pas
alerter nos évangéliques voisins.
    — Ha ! dis-je, la ruse me
plaît, tant je déteste, quant à moi, l’oppression papiste !
    — Plaise à Dieu, dit Fogacer en
arquant son noir sourcil, que vous détestiez du même cœur l’oppression
huguenote là où vous êtes les plus forts.
    — Je la déteste aussi. Je ne
suis point tant zélé.
    — Je l’ai observé, dit Fogacer.
    — Mais, dis-je après un moment
de silence, cette chair de porc qui est chair abhorrée des Hébreux en dépit de
sa succulence, n’y a-t-il pas péril à ne jamais en acheter ? Que vont
penser nos bons voisins ?
    — Raison pour laquelle le commis
Jean, qui, pas plus que la Fontanette, n’est marrane, va en quérir un morceau
chaque jeudi chez le mazelier.
    — Quoi ! Du porc céans, en
ce logis ? Est-ce possible ?
    — Il n’arrive point sur notre
table. Concepcion n’y voulant pas toucher, Jean le cuit dans la pâtée de nos
molosses et le leur donne.
    — C’est pitié.
    — Grande et horrible. Vous
savez comme j’en suis friand.
    — Mais, dis-je, pour Maître
Sanche, comment faire pour rester tout le samedi désoccupé, l’officine, par
force, restant ouverte aux chalands ?
    — Le samedi à l’aube, avec ses
commis marranes et le cyclopéen Balsa, Maître Sanche à cheval gagne sa
seigneurie de Montolivet sous le prétexte d’y travailler à sa vigne. Il ne
revient qu’à la nuit.
    — Et l’officine, pendant ce
temps ? Qui sert la pratique ?
    — Le commis Jean et moi-même.
Cela fait deux. Et, ajouta-t-il en riant, cela fera trois, quand Samson sera
notre

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