En Route
le tempérament de ceux qui les parcourent. Il n'en reste pas moins acquis que l'itinéraire de l'âme vers Dieu comprend, d'abord, des chemins à pic et des casse-cou, - ce sont les chemins de la vie purgative ; -puis, des sentiers encore étroits, mais déjà taillés en lacets et accessibles, - ce sont les sentiers de la vie illuminative ; - enfin, une route large, presque plane, la route de la vie unitive, au bout de laquelle l'âme se jette dans la fournaise de l'amour, tombe dans l'abîme de la suradorable infinité !
En somme, ces trois voies sont successivement réservées à ceux qui débutent dans l'ascèse chrétienne, à ceux qui la pratiquent, à ceux enfin qui touchent le but suprême, la mort de leur moi et la vie en Dieu.
Il y a longtemps déjà, poursuivit l'oblat, que j'ai placé mes désirs au delà de l'horizon, et pourtant je ne progresse guère ; je suis à peine dégagé de la vie purgative, à peine…
- Et vous n'appréhendez pas, comment dirai-je, des infirmités matérielles, car enfin si vous parvenez à franchir les limites de la contemplation, vous risquez de vous ruiner à jamais le corps. L'expérience paraît démontrer, en effet, que l'âme divinisée agit sur le physique et y détermine d'incurables troubles.
L'oblat sourit. D'abord je n'atteindrai sans doute pas au dernier degré de l'initiation, au point extrême de la mystique ; puis, en supposant que je les atteigne, que seraient des accidents corporels en face des résultats acquis ?
Permettez-moi aussi de vous affirmer que ces accidents ne sont, ni aussi fréquents, ni aussi certains que vous semblez le croire.
On peut être un grand mystique, un admirable saint et ne pas être le sujet de phénomènes visibles pour ceux qui vous entourent. Pensez-vous donc, par exemple, que la lévitation, que l'envolée dans les airs du corps, qui paraît constituer la période excessive du ravissement, ne soit pas des plus rares.
Vous me citerez qui ? Sainte Térèse, sainte Christine l'Admirable, saint Pierre d'Alcantara, Dominique de Marie-Jésus, Agnès de Bohême, Marguerite du Saint-Sacrement, la bienheureuse Gorardesca de Pise et surtout saint Joseph de Cupertino qui s'enlevait, lorsqu'il le voulait, du sol. Mais ils sont dix, vingt, sur des milliers d'élus !
Et remarquez bien que ces dons ne prouvent pas leur supériorité sur les autres Saints. Sainte Térèse le déclare expressément : il ne faut pas s'imaginer qu'une personne, par cela même qu'elle est favorisée de grâces, soit meilleure que celles qui n'en ont point, car notre-Seigneur dirige chacun suivant son besoin particulier.
Et c'est bien là la doctrine de l'église dont l'infatigable prudence s'affirme lorsqu'il s'agit de canoniser les morts. Ce sont les qualités et non les actes extraordinaires qui la déterminent ; les miracles mêmes ne sont pour elle que des preuves secondaires, car elle sait que l'esprit du Mal les imite.
Aussi trouverez-vous dans les vies des Bienheureux des faits plus rares, des phénomènes plus confondants encore que dans les biographies des Saints. Ces phénomènes les ont plutôt desservis qu'ils ne les ont aidés. Après les avoir béatifiés, pour leurs vertus, l'église a sursis - et pour longtemps sans doute - à les promouvoir à la souveraine dignité de Saints.
Il est, en somme, difficile de formuler une théorie précise à ce sujet, car si la cause, si l'action intérieure est la même pour tous les contemplatifs, elle n'en diffère pas moins, je le répète, suivant les desseins du seigneur et la complexion de ceux qui les subissent ; la différence des sexes change souvent la forme de l'influx mystique, mais elle n'en modifie nullement l'essence ; l'irruption de l'Esprit d'en Haut peut produire des effets divers, mais elle n'en reste pas moins identique.
La seule observation que l'on puisse oser, en ces matières, c'est que la femme se montre, d'habitude, plus passive, moins réservée, tandis que l'homme réagit plus violemment contre les volontés du Ciel.
- Cela me fait songer, dit Durtal, que, même en religion, il existe des âmes qui semblent s'être trompées de sexe. Saint François d'Assise, qui était tout amour, avait plutôt l'âme féminine d'une moniale et sainte Térèse, qui fut la plus attentive des psychologues, avait l'âme virile d'un moine. Il serait plus exact de les appeler sainte François et saint Térèse.
L'oblat sourit. - Pour en revenir à votre question, reprit-il, je ne
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