En Route
affamé d'austérités et de souffrances. Il était assailli par d'horribles tentations dont il se riait. Exaspéré, le diable s'attaqua au corps et lui brisa, à coups de névralgies, le crâne, mais le ciel lui vint en aide et le guérit. A force de verser des larmes, par esprit de pénitence, Pierre s'éteignit un oeil et il remercia Notre-Seigneur de ce bienfait. "J'avais, disait-il, deux ennemis ; j'ai échappé au premier, mais celui que je garde m' inquiète plus que celui que j'ai perdu."
Il a opéré des guérisons miraculeuses ; le roi de France Louis VII le vénérait à un tel point qu'il voulait baiser, lorsqu'il le voyait, sa paupière vide. Monoculus mourut en 1186 ; l'on trempa des linges dans son sang, on lava ses entrailles dans du vin qui fut distribué, car cette mixture constituait un puissant remède.
Cet ascétère était alors immense ; il comprenait tout le pays qui nous entoure, entretenait plusieurs léproseries dans ses environs et il était habité par plus de trois cents moines ; malheureusement, il en fut de l'abbaye de Notre-Dame de l'Atre, ainsi que de toutes les autres. Sous le régime des abbés commendataires, elle déclina ; elle se mourait, n'ayant plus que six religieux pour la soigner, lorsque la révolution la supprima. L'église fut alors rasée et remplacée, depuis, par la chapelle en rotonde.
Ce n'est qu'en 1875 que la maison actuelle, qui date de 1833, je crois, fut réconciliée et redevint un 1 cloître. On y appela des trappistes de Sainte-Marie de la mer, au diocèse de Toulouse, et cette petite colonie a fait de Notre-Dame de l'Atre la pépinière Cistercienne que vous voyez.
Telle est, en quelques mots, l'histoire de ce couvent, dit l'oblat. Quant aux ruines, elles sont enfouies sous terre et l'on découvrirait, sans doute, de précieux fragments, si, faute d'argent et de bras, l'on ne devait renoncer à exécuter des fouilles.
Il survit de l'ancienne église pourtant, en sus de ces colonnes brisées et de ces chapiteaux que nous avons longés, une grande statue de vierge qui a été dressée dans l'un des corridors de l'abbaye ; puis, il subsiste encore deux anges assez bien conservés et qui sont, tenez, là-bas, au bout de la clôture, dans une petite chapelle cachée derrière un rideau d'arbres.
- On aurait bien dû mettre la vierge devant laquelle s'est peut-être agenouillé saint Bernard, dans l'église, sur l'autel même voué à Marie, car la statue coloriée qui le surmonte est d'une laideur importune, - ainsi que celle-là, d'ailleurs, dit Durtal, en désignant, au loin, la madone de fonte qui s'élevait devant l'étang.
L'oblat baissa la tête et ne répondit pas.
- Savez-vous, s'écria Durtal qui, devant ce silence, n'insista pas et changea de conversation, savez-vous que je vous envie de vivre ici !
- Il est certain que je ne méritais nullement cette faveur, car, en somme, le cloître est bien moins une expiation qu'une récompense ; c'est le seul endroit où l'on soit, loin de la terre et près du ciel, le seul où l'on puisse s'adonner à cette vie mystique qui ne se développe que dans la solitude et le silence.
- Oui, et s'il est possible, je vous envie plus encore d'avoir eu ce courage de vous aventurer dans des régions qui, je vous l'avouerai, m'effraient. Je sens si bien, du reste, que, malgré le tremplin des prières et des jeûnes, malgré la température même de la serre claustrale où l'orchidée du Mysticisme pousse, je me dessécherais, dans ces parages, sans jamais m' épanouir.
L'oblat sourit. - Qu'en savez-vous ? reprit-il ; cela ne se fait pas en une heure ; l'orchidée dont vous parlez ne fleurit pas en un jour ; l'on avance si lentement, que les mortifications s'espacent, que les fatigues se répartissent sur les années et qu'on les tolère aisément, en somme.
En règle générale, il faut, pour franchir la distance qui nous sépare du créateur, passer par les trois degrés de cette science de la perfection chrétienne qu'est la mystique ; il faut successivement vivre la vie purgative, la vie illuminative, la vie unitive, pour joindre le bien incréé et se verser en lui.
Que ces trois grandes phases de l'existence ascétique se subdivisent, elles-mêmes, en une infinité d'étapes, que ces étapes soient des degrés pour saint Bonaventure, des demeures pour sainte Térèse, des pas pour sainte Angèle, peu importe ; ils peuvent varier de longueur et de nombre, suivant la volonté du seigneur et
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