En Route
par des voix d'enfants.
Timide et lointain, doux et plaintif, cet amen disait : nous avons fait ce que nous pouvions, mais… mais… Et, dans le funèbre silence que laissait ce départ du clergé quittant la nef, l'ignoble réalité demeurait seule de la coque vide, enlevée à bras d'hommes, jetée dans une voiture, ainsi que ces rebuts de boucherie qu'on emporte, le matin, pour les saponifier dans les fondoirs.
Quand on évoque, en face de ces douloureuses oraisons, de ces éloquentes absoutes, une messe de mariage, comme cela change ! continua Durtal. Là, l'Eglise est désarmée et sa liturgie musicale est quasi nulle. Il faut bien alors qu'elle joue les marches nuptiales des Mendelssohn, qu'elle emprunte aux auteurs profanes la gaieté de leurs chants pour célébrer la brève et la vaine joie des corps. Se figure-t-on-et cela se fait pourtant-le cantique de la Vierge servant à magnifier l'impatiente allégresse d'une jeune fille qui attend qu'un monsieur l'entame, le soir même, après un repas ? S'imagine-t-on le te deum chantant la béatitude d'un homme qui va forcer sur un lit une femme qu'il épouse parce qu'il n'a pas découvert d'autres moyens de lui voler sa dot ?
Loin de ce fermage infamant des chairs, le plain-chant demeure parqué dans ses antiphonaires, comme le moine dans son cloître ; et quand il en sort, c'est pour faire jaillir devant le Christ la gerbe des douleurs et des peines. Il les condense et les résume en d'admirables plaintes et si, las d'implorer, il adore, alors ses élans glorifient les événements éternels, les Rameaux et les Pâques, les Pentecôtes et les Ascensions, les Epiphanies et les Noëls ; alors, il déborde d'une joie si magnifique, qu'il bondit hors des mondes, exubère, en extase, aux pieds d'un Dieu !
Quant aux cérémonies mêmes de l'enterrement, elles ne sont plus aujourd'hui qu'un train-train fructueux, qu'une routine officielle, qu'un treuil d'oraisons qu'on tourne, machinalement, sans y penser.
L'organiste songe à sa famille et rumine ses ennuis pendant qu'il joue ; l'homme qui pompe l'air et le refoule dans les tuyaux pense au demi-setier qui tarira ses sueurs ; les ténors et les basses soignent leurs effets, se mirent dans l'eau plus ou moins ridée de leurs voix ; les enfants de la maîtrise rêvent d'aller galopiner, après la messe ; d'ailleurs, ni les uns, ni les autres, ne comprennent un mot du latin qu'ils chantent et qu'ils abrègent, du reste, ainsi que dans le Dies irae dont ils suppriment une partie des strophes.
De son côté, la bedeaudaille suppute les fonds que le trépassé rapporte et le prêtre même, excédé par ces prières qu'il a tant lues et pressé par l'heure du repas, expédie l'office, prie mécaniquement du bout des lèvres, tandis que les assistants ont hâte, eux aussi, que la messe, qu'ils n'ont pas écoutée d'ailleurs, s'achève pour serrer la main des parents et quitter le mort.
C'est une inattention absolue, un ennui profond. Et pourtant, c'est effrayant ce qui est là, sur des tréteaux, ce qui attend là, dans l'église ; car enfin, c'est l'étable vide, à jamais abandonnée, du corps ; et c'est cette étable même qui s'effondre. Du purin qui fétide, des gaz qui émigrent, de la viande qui tourne, c'est tout ce qui reste !
Et l'âme, maintenant que la vie n'est plus et que tout commence ? Personne n'y songe ; pas même la famille, énervée par la longueur de l'office, absorbée dans son chagrin et qui ne regrette, en somme, que la présence visible de l'être qu'elle a perdu, personne, excepté moi, se disait Durtal, et quelques curieux qui s'unissent, terrifiés, au Dies irae et au Libera dont ils comprennent et la langue et le sens !
Alors, par le son extérieur des mots, sans l'aide du recueillement, sans l'appui même de la réflexion, l'Eglise agit.
Et c'est là le miracle de sa liturgie, le pouvoir de son verbe, le prodige toujours renaissant des paroles créées par des temps révolus, des oraisons apprêtées par des siècles morts ! Tout a passé ; rien de ce qui fut surélevé dans les âges abolis ne subsiste. Et ces proses demeurées intactes, criées par des voix indifférentes et projetées de coeurs nuls, intercèdent, gémissent, implorent, efficacement, quand même, par leur force virtuelle, par leur vertu talismanique, par leur inaliénable beauté, par la certitude toute-puissante de leur foi. Et c'est le Moyen Age qui nous les légua pour nous aider à sauver, s'il
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