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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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épris de démonomanie et de mystique et du sonneur de cloches de Saint-Sulpice, du breton Carhaix.
    Ces affections-là n'étaient plus commes celles qu'il avaient connues, tout en superficie et en façade ; elles étaient spacieuses et profondes, basées sur des similitudes de pensées, sur des lignes indissolubles d'âmes ; et celles-là avaient été brusquement rompues ; à deux mois de distance, des Hermies et Carhaix mouraient, tués, l'un par une fièvre typhoïde, l'autre par un refroidissement qui l'alita, après qu'il eut sonné l'angélus du soir dans sa tour.
    Ce furent pour Durtal d'affreux coups. Son existence qu'aucun lieu n'amarra plus partit à la dérive ; il erra, dispersé, se rendant compte que cet abandon était définitif, que, pour lui, l'âge n'était plus où l'on s'unit encore.
    Aussi vivait-il seul, à l'écart, dans ses livres, mais la solitude qu'il supportait bravement quand il était occupé, quand il préparait un livre, lui devenait intolérable lorsqu'il était oisif. Il s'acagnardait des après-midi dans un fauteuil, s'essorait dans des songes ; c'était alors surtout que des idées fixes se promenaient en lui ; elles finissaient par lui jouer derrière le rideau baissé de ses yeux des féeries dont les actes ne variaient guère. Toujours des nudités lui dansaient dans la cervelle, au chant des psaumes ; et il sortait de ces rêveries, haletant, énervé, capable, si un prêtre s'était trouvé là, de se jeter en pleurant à ses pieds, de même qu'il se fût rué aux plus basses ordures si une fille eût été près de lui, dans sa chambre.
    Chassons par le travail tous ces phantasmes, se criait-il, mais travailler à quoi ? Après avoir fait paraître une histoire de Gilles de Rais qui avait pu intéresser quelques artistes, il demeurait sans sujet, à l'affût d'un livre. Comme il était, en art, un homme d'excès, il sautait aussitôt d'un extrême à l'autre, et, après avoir fouillé le satanisme au Moyen Age, dans son récit du maréchal de Rais, il ne voyait plus d'intéressant à forer qu'une vie de sainte et quelques lignes découvertes dans les études sur la mystique de Goerres et de Ribet l'avaient lancé sur la piste d'une bienheureuse Lydwine, en quête de documents neufs.
    Mais en admettant même qu'il en déterrât, pouvait-il ouvrer une vie de sainte ? Il ne le croyait pas et les arguments sur lesquels il étayait son avis semblaient plausibles.
    L'hagiographie était une branche maintenant perdue de l'art ; il en était d'elle ainsi que de la sculpture sur bois et des miniatures des vieux missels. Elle n'était plus aujourd'hui traitée que par des marguilliers et par des prêtres, par des commissionnaires de style qui semblent toujours, lorsqu'ils écrivent, charger leurs fétus d'idées sur des camions ; et elle était, entre leurs mains, devenue un des lieux communs de la bondieuserie, une transposition dans le livre des statuettes des Froc-Robert, des images en chromo des Bouasse.
    La voie était donc libre et il semblait tout d'abord aisé de la planer ; mais pour extraire le charme des légendes, il fallait la langue naïve des siècles révolus, le verbe ingénu des âges morts. Comment arriver à exprimer aujourd'hui le suc dolent et le blanc parfum des très anciennes traductions de la Légende dorée de Voragine ? Comment lier en une candide gerbe ces fleurs plaintives que les moines cultivèrent dans les pourpris des cloîtres, alors que l'hagiographie était la soeur de l'art barbare et charmant des enlumineurs et des verriers, de l'ardente et de la chaste peinture des Primitifs ?
    On ne pouvait cependant songer à se livrer à de studieux pastiches, s'efforcer de singer froidement de telles oeuvres. Restait alors la question de savoir si, avec les ressources de l'art contemporain, l'on parviendrait à dresser l'humble et la haute figure d'une sainte ; et c'était pour le moins douteux, car le manque de simplesse réelle, le fard trop ingénieux du style, les ruses d'un dessin attentif et la frime d'une couleur madrée transformeraient probablement l'élue en une cabotine. Ce ne serait plus une sainte, mais une actrice qui en jouerait plus ou moins adroitement le rôle ; et alors, le charme serait détruit, les miracles paraîtraient machinés, les épisodes seraient absurdes ! … puis… puis… encore faudrait-il avoir une foi qui fût vraiment vive et croire à la sainteté de son héroïne, si l'on voulait tenter de l'exhumer

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