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En Route

Titel: En Route Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joris-Karl Huysmans
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suivre la marche de l'étincelle le long du fil et, ici, pas. J'ai sauté à l'improviste, sans avoir été prévenu, sans même m' être douté que j'étais si studieusement sapé. Et ce n'est pas davantage le coup de foudre, à moins que je n'admette un coup de foudre qui serait occulte et taciturne, bizarre et doux. Et ce serait encore faux, car ce bouleversement brusque de l'âme vient presque toujours à la suite d'un malheur ou d'un crime, d'un acte enfin que l'on connaît.
    Non, la seule chose qui me semble sûre, c'est qu'il y a eu, dans mon cas, prémotion divine, grâce.
    Mais, fit-il, alors la psychologie de la conversion serait nulle ? Et il se répondit :
    Ca m'en a tout l'air, car je cherche vainement à me retracer les étapes par lesquelles j'ai passé ; sans doute, je peux relever sur la route parcourue, çà et là, quelques bornes : l'amour de l'art, l'hérédité, l'ennui de vivre ; je peux même me rappeler des sensations oubliées d'enfance, des cheminements souterrains d'idées suscitées par mes stations dans les églises ; mais ce que je ne puis faire, c'est relier ces fils, les grouper en faisceau ; ce que je ne puis comprendre, c'est la soudaine et la silencieuse explosion de lumière qui s'est faite en moi. Quand je cherche à m'expliquer comment, la veille, incrédule, je suis devenu, sans le savoir, en une nuit, croyant, eh bien ! Je ne découvre rien, car l'action céleste a disparu, sans laisser de traces.
    Il est bien certain, reprit-il, après un silence de pensée, que c'est la Vierge qui agit dans ces cas-là sur nous ; c'est elle qui vous pétrit et vous remet entre les mains du Fils ; mais ses doigts sont si légers, si fluides, si caressants que l'âme qu'ils ont retournée n'a rien senti.
    Par contre, si j'ignore la marche et les relais de ma conversion, je puis au moins deviner quels sont les motifs qui, après une vie d'indifférence, m' ont ramené dans les parages de l'Eglise, m' ont fait errer dans ses alentours, m' ont enfin poussé par le dos pour m'y faire entrer.
    Et il se disait sans ambages, il y a trois causes :
    D'abord un atavisme d'ancienne famille pieuse éparse dans des monastères ; et des souvenirs d'enfance lui revenaient, de cousines, de tantes, entrevues dans des parloirs, des femmes douces et graves, blanches comme des oublies, qui l'intimidaient, en parlant bas, qui l'inquiétaient presque lorsqu'en le regardant, elles demandaient s'il était sage.
    Il éprouvait une sorte de peur, se réfugiait dans les jupes de sa mère, tremblant quand, en partant, il fallait apporter son front au-devant de lèvres décolorées pour subir le souffle d'un baiser froid.
    De loin, alors qu'il y songeait maintenant, ces entrevues qui l'avaient tant gêné dans son enfance lui semblaient exquises. Il y mettait toute une poésie de cloître, enveloppait ces parloirs si nus d'une odeur effacée de boiseries et de cire ; et il revoyait aussi les jardins qu'il avait traversés dans ces couvents, des jardins embaumant le parfum amer et salé du buis, plantés de charmilles, semés de treilles dont les raisins toujours verts ne mûrissaient point, espacés de bancs dont la pierre rongée gardait des anciennes ondées des oeils d'eau ; et mille détails lui revenaient de ces allées de tilleuls si tranquilles, de ces sentiers où il courait dans la guipure noire que dessinait sur le sol l'ombre tombée des branches. Il conservait de ces jardins qui lui paraissaient devenir plus grands à mesure qu'il avançait en âge un souvenir un peu confus où tremblait l'image embrouillée d'un vieux parc aulique et d'un verger de presbytère, situé au nord, resté, même quand le soleil l'échauffait, un peu humide.
    Il n'était pas surprenant que ces sensations déformées par le temps eussent laissé en lui des infiltrations d'idées pieuses qui se creusaient alors qu'il les embellissait, en y songeant ; tout cela pouvait avoir sourdement fermenté pendant trente années et se lever maintenant.
    Mais les deux autres causes qu'il connaissait avaient dû être encore plus actives.
    C'était son dégoût de l'existence et sa passion de l'art ; et ce dégoût s'aggravait certainement de sa solitude et de son oisiveté.
    Après avoir autrefois logé ses amitiés au hasard des gens et essuyé les plâtres d'âmes qui n'avaient aucun rapport avec la sienne, il s'était, après tant d'inutile vagabondage, enfin fixé ; il avait été l'intime ami d'un Dr des Hermies, un médecin

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