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Eugénie et l'enfant retrouvé

Eugénie et l'enfant retrouvé

Titel: Eugénie et l'enfant retrouvé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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volant avant la fin de son engagement, avec la ferme conviction de se tirer d’affaire sans trop de mal.
    Le garçon apprenait facilement, autant les élucubrations intellectuelles des philosophes païens ou chrétiens figurant au programme du cours classique que les tâches manuelles.
    Surtout, il gardait l’assurance de toujours pouvoir maîtriser les difficultés, cela en toutes circonstances. Pareille attitude tenait un peu de l’inconscience, mais la vie ne l’avait encore jamais détrompé.
    — Tu vas toujours à l’école ? demanda son compagnon de route.
    Tout le monde au magasin connaissait son statut. La question ne servait qu’à amorcer la conversation.
    — Je suis étudiant au Petit Séminaire. En septembre, je commencerai ma dernière année.
    — Encore à l’école à ton âge... Tu es plus grand que moi.
    En réalité, Jacques était plus grand que la plupart des hommes.
    Cela le prédisposait à regarder les autres de haut.
    — Même si j’ai cessé de pousser, comme dit ma mère, je vais entrer à l’université dans un an. Il me reste encore cinq ans d’études.
    — C’est comme être encore un enfant, avec des soutanes qui te disent comment vivre ta vie.
    De prime abord, le ton de son interlocuteur paraissait méprisant. Le jeune homme ne s’en offusqua guère, car il devinait surtout une immense envie.
    — Les gens de la paroisse Saint-Roch ne sont pas en reste, rétorqua-t-il. Monseigneur Buteau raffole de dire aux autres comment mener leur existence.
    — Ah ! Ses sermons sont interminables, comme un long carême. Et à confesse, il n’en finit plus de vouloir des détails.
    J’ai goûté à son traitement deux ou trois fois, et maintenant je m’arrange pour aller déballer mes fautes à un des vicaires, celui qui est aumônier au syndicat catholique.
    L’idée de ne rien dévoiler de sa vie intime ne l’effleurait même pas, tellement l’emprise du clergé sur les esprits demeurait forte. En évoquant le prélat domestique, Jacques avait moins en tête ses discours fleuve du haut de la chaire que ses écrits. D’un côté, il signait des articles tonitruants dans l’Action catholique. De l’autre, sa version soigneusement éditée du journal de Raymond Lavallée poussait sa carrière dans tous les établissements d’enseignement de la province. Cela lui valait une réelle notoriété.
    — Et à l’université, que feras-tu ? demanda Napoléon pour relancer la conversation.
    — Je ferai des études de droit.
    — Ça ne te tente pas de devenir curé ? La grosse maison, les domestiques...
    — Mais les prêtres doivent faire le sacrifice d’un petit quelque chose. A mes yeux, leur grosse maison et leur ménagère, ils les paient un peu trop cher.
    L’allusion au célibat valut un ricanement au chauffeur.
    Lui non plus n’aurait pas accepté cette castration.
    — Avocat, murmura-t-il. Ça peut rapporter gros aussi. Si jamais je fais une bêtise, tu me consentiras un bon prix pour tes conseils, j’espère... En souvenir du bon vieux temps.
    — Je vais t’en donner un tout de suite, et sans te demander un sou. Si tu fais une bêtise, arrange-toi pour ne pas te faire prendre. Ce sera plus simple.
    L’autre accueillit la répartie avec bonne humeur. Cet étudiant se montrait un compagnon de travail agréable.
    Quand le répartiteur lui avait annoncé qu’il ferait équipe avec lui tout l’été, il s’était imaginé un boutonneux malingre et pédant. Celui-là portait des meubles sans se plaindre et adaptait plus
    ou
    moins
    son
    langage
    à
    celui
    de
    son
    interlocuteur.
    Pendant que le camion approchait du pont Dorchester, Jacques demanda:
    — Arrête un instant, je vais descendre. J’habite tout près d’ici. — Mais tu dois pointer...
    — Tu le feras à ma place.
    Le jeune homme disait cela avec un sourire charmant.
    — Si le répartiteur me voit, j’aurai peut-être besoin d’un avocat pour la première fois de ma vie. Ils nous défendent de puncher pour un autre.
    — Tu lui diras que j’ai quitté le camion quinze minutes après six heures, mais que je ne réclamerai pas de temps supplémentaire.
    — Edouard Picard ne paie jamais le surtemps.
    Tout en protestant mollement, Napoléon avait tout de même garé le véhicule près du trottoir. Son compagnon en descendit en disant: «A demain matin.»

    *****
    Debout sur le trottoir de la 3e Avenue, Jacques étira ses muscles. Il allait se mettre en marche quand une petite voix dit derrière lui

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