Eugénie et l'enfant retrouvé
pouvait effacer une intense satisfaction de ses traits. Sa seule présence représentait une victoire.
A ses quatre enfants, Eugénie avait laissé une lettre soigneusement cachetée. Trente lignes à chacun permettraient-elles une reconstruction posthume des ponts brisés ?
*****
Le religieux eut la bonne idée de se faire bref. En accompagnant ses enfants vers la voiture mise à sa disposition par le
directeur
des
funérailles,
Fernand
regarda
sa
maîtresse marcher vers un taxi. Elle lui adressa un petit signe de la main avant de partir.
Les orphelins s’entassèrent sur la banquette arrière, pressés de se dissimuler aux regards. L’homme allait monter devant quand son beau-frère s’approcha. Le malaise entre eux était allé grandissant au cours des derniers mois.
Edouard qui affichait sa désapprobation pour l’aventure amoureuse de son parent ! Le pécheur se faisait vertueux devant les fautes des autres.
— As-tu vu les journaux, depuis mardi ? commença-t-il.
— Comme tout le monde. Mais tu comprendras que je n’y ai pas mis toute mon attention.
— Les affaires reviendront à la normale, n’est-ce pas?
Nous avons connu quelques corrections boursières, ces derniers mois. Mais tout rentrait dans l’ordre ensuite.
— Cette fois, cela paraît plus sérieux.
Le veuf baissa les yeux pour regarder ses enfants dans la voiture. Il convenait de les ramener à la maison bien vite et de former avec eux un bloc compact.
— Les banques se sont concertées pour enrayer la chute, continua le marchand. Hier, cela semblait efficace.
— Si le marché regagne les points perdus, seuls ceux qui ont vendu au cours des dernières quarante-huit heures encaisseront des pertes.
Edouard ne put réprimer une grimace.
— Tu m’excuseras, je dois rentrer, dit Fernand.
— Et si les efforts des banques ne fonctionnent pas ?
— Dans ce cas, les plus malheureux seront ceux qui ont emprunté pour acheter des actions. Beaucoup se sont engagés bien imprudemment, ces derniers temps. Non seulement ils perdront leur patrimoine, mais ils devront rembourser leurs dettes. Mais maintenant, je dois y aller.
Résolu à ne plus rien entendre, l’homme s’assit sur la banquette avant et fit claquer la portière. Edouard regarda partir la grosse voiture noire. À peu de distance, Elisabeth lut l’inquiétude sur le visage de son fils.
Tout comme le cancer qui avait grugé Eugénie, la Grande Crise rongeait déjà tous les organes de l’économie.
Bientôt, non seulement le Québec, mais le monde entier mesurerait l’ampleur du désastre.
Quelques mots
Voilà ! Après huit tomes (les Portes de Québec, Les folles années) le voile est levé, ceux qui devaient savoir ont su.
Mais tout le monde n’est pas mort, loin s’en faut.
Comment abandonner Elisabeth et Marie, dont la cinquantaine promet d’être heureuse et sereine, ou la jeune génération, Thalie, Mathieu,
Edouard,
et
bien
sûr
Fernand
et
Elise, devenus familiers? Je ne le peux pas, surtout à un moment où la Grande Crise pointe ses cornes.
Après une pause, je les convierai à une nouvelle rencontre, dans une série intitulée Les Années de plomb. Elle nous conduira jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
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