Excalibur
Jadis, Merlin possédait un grand
manoir sur le Tor, avec une tour de rêve, mais on l’avait réduit en cendres. J’étais
resté dans ses ruines, en proie à une grande affliction. Arthur, mon ami,
souffrait. Ceinwyn, ma femme, était loin de moi, dans le Powys. Morwenna et
Seren, mes deux filles, se trouvaient avec elle tandis que Dian, ma benjamine,
reposait dans l’Autre Monde, où l’avait expédiée l’un des hommes de Lancelot.
Mes amis étaient morts, ou très loin. Les Saxons se préparaient à nous
combattre l’année suivante, ma maison n’était plus que cendres et ma vie
semblait morne. Peut-être la tristesse de Guenièvre m’avait-elle contaminé,
mais ce matin-là, sur la colline d’Ynys Wydryn balayée par la pluie, je me
sentis plus seul que je l’avais été de toute ma vie, aussi je m’agenouillai
dans les cendres boueuses du grand manoir et priai Bel. Je suppliai le dieu de
nous sauver et, tel un enfant, je quémandai de lui un signe qui me prouverait
que les Dieux se souciaient de nous.
Le signe
surgit une semaine plus tard. Arthur chevauchait vers l’est pour ravager la
frontière saxonne, mais j’étais resté à Caer Cadarn, attendant que Ceinwyn et
mes filles reviennent à la maison. Au cours de cette semaine-là, Merlin et sa
compagne, Nimue, se rendirent au grand palais inhabité avoisinant Lindinis. J’y
avais vécu jadis, pour élever notre roi Mordred, mais quand celui-ci avait
atteint sa majorité, on avait donné le palais à l’évêque Sansum pour en faire
un monastère. Puis les moines avaient été chassés des grandes salles romaines
par les lanciers vengeurs, si bien que l’immense bâtiment était resté vide.
Les gens du
coin nous dirent que le druide y habitait. Ils nous contèrent des histoires d’apparitions,
de signes merveilleux et de Dieux marchant dans la nuit, aussi je m’y rendis à
cheval, mais ne trouvai nulle trace de la présence de Merlin. Deux ou trois
cents personnes campaient devant les portes, qui me répétèrent avec de grands
gestes ces histoires de visions nocturnes, et les entendre me déprima. La
Dumnonie venait d’endurer la frénésie d’une rébellion des chrétiens attisée par
le même genre de superstition délirante, et il semblait maintenant que les
païens allaient tenter d’égaler leur folie. Je poussai les portes du palais,
traversai la cour principale et parcourus à grands pas les salles vides de
Lindinis. J’appelai Merlin par son nom, mais n’obtins pas de réponse. Je
trouvai un foyer encore chaud dans l’une des cuisines, et constatai qu’une
autre pièce venait d’être balayée, mais n’y découvris rien de vivant, à part
des rats et des souris.
Pourtant, ce
jour-là, d’autres gens se rassemblèrent à Lindinis. Ils venaient de toute la
Dumnonie et un espoir pathétique éclairait leurs visages. Ils avaient amené
leurs infirmes et leurs malades et attendirent patiemment jusqu’au crépuscule ;
le portail du palais s’ouvrit alors tout grand et ils purent pénétrer en
marchant, en boitant, en se traînant, ou portés par d’autres, dans la vaste
cour extérieure. J’aurais juré qu’il n’y avait personne dans le grand bâtiment,
pourtant on avait ouvert les portes et allumé de grandes torches qui
illuminaient les arcades.
Je me joignis
à ceux qui s’entassaient dans la cour. Issa, mon commandant en second, m’accompagnait
et nous restâmes près de la porte, enveloppés dans nos grandes capes noires. La
foule se composait apparemment de paysans. Ils étaient pauvrement vêtus et
avaient les visages sombres et hâves de ceux qui doivent lutter pour arracher
leur subsistance à la terre, pourtant, dans la lumière flamboyante des torches,
ces visages étaient pleins d’espoir. Arthur aurait détesté cette scène, car il
avait toujours répugné à accorder un espoir surnaturel à ceux qui souffraient,
pourtant cette foule avait tellement besoin d’espoir ! Les femmes tenaient
à bout de bras des bébés malades ou poussaient au premier rang des enfants
infirmes, et tous écoutaient avidement les contes miraculeux des apparitions de
Merlin. C’était la troisième nuit de merveilles et, maintenant, tant de gens
voulaient assister à ces miracles qu’il était impossible à tous de pénétrer
dans la cour. Certains se perchèrent sur le mur, derrière moi, d’autres s’entassèrent
au portail, mais personne n’empiéta sur la galerie qui entourait la cour sur
trois côtés, car ses
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