Faubourg Saint-Roch
métallique. Elisabeth sursauta, posa la main sur le mur en murmurant un « Oh ! » un peu effrayé.
— C'est le premier ascenseur à avoir été installé dans la ville de Québec. On ne peut pas avoir un commerce de six étages et espérer que les clients se rendent tout en haut par les escaliers, précisa le propriétaire avec fierté.
Avec une brusquerie qui valut au garçon un regard agacé, la cage s'immobilisa au troisième étage. La porte s'ouvrit sur quelques mannequins vêtus de robes élégantes. Picard se dirigea vers un comptoir derrière lequel une toute jeune fille se tenait au garde-à-vous. Brune, élancée, ses cheveux ramassés en un chignon sur sa nuque, elle présentait un joli visage souriant aux personnes désireuses de garnir leur garde-robe.
— Marie, est-ce que mon frère se trouve là ?
— ... Non, répondit-elle après une brève hésitation. Monsieur Alfred est parti depuis une heure environ.
Thomas Picard tira sa montre de son gousset pour regarder l'heure en soupirant. Abandonner son poste un samedi au milieu de l'après-midi lui paraissait tout à fait irresponsable, une attitude susceptible d'encourager un certain relâchement chez le personnel.
— Tant pis ! J'aimerais que vous procuriez à cette jeune personne des vêtements convenables...
Tout en parlant, Thomas Picard regarda une nouvelle fois Elisabeth des pieds à la tête, puis il précisa :
— Des chaussures au chapeau, en passant par les sous-vêtements. Il faudrait ajouter un paletot aussi. Comme elle vivra chez moi, je ne voudrais pas qu'elle fasse tache... Et des habits en quantité suffisante pour qu'elle ait quelque chose à se mettre sur le dos les jours de lessive. Quant à ce qu'elle porte maintenant, cela peut aller au chiffonnier: je doute que même les ursulines osent en affubler encore l'une de leurs futures protégées ! Après, vous la reconduirez à mon bureau.
— ... Et pour... la qualité?
La vendeuse souhaitait en fait savoir si cette couventine à l'air emprunté devait sortir du magasin Picard avec l'allure d'une fille de la Haute-Ville, ou d'une paysanne à peine débarquée de son village de Charlevoix.
— Elle devra s'occuper de mes enfants... Tenez, donnez-lui l'allure de la fille Thibodeau.
La référence à l'aînée d'un épicier voisin valait mieux qu'une longue explication : la vendeuse devait transformer la couventine trop grande pour son uniforme en une jeune femme jouissant d'une petite aisance.
Sans un mot de plus, l'homme tourna les talons, laissant seules les deux jeunes filles. Au bord des larmes pour s'être fait rappeler aussi brutalement la pauvreté de sa mise, Elisabeth Trudel se mordait la lèvre inférieure.
—Je m'appelle Marie Buteau, commença la vendeuse.
L'autre se présenta après une hésitation, soucieuse de se donner une contenance plutôt que d'éclater en sanglots.
— Passez derrière, il y a une salle d'essayage.
Derrière le comptoir, une porte s'ouvrait sur une pièce étroite. Un grand miroir encombrait l'une de ses extrémités. Deux petites alcôves fermées d'un rideau permettaient de se changer.
— Je vais commencer par prendre vos mesures, expliqua la vendeuse en récupérant le ruban qu'elle portait autour de son cou.
Avec des gestes vifs et précis, elle commença par mesurer le tour du cou, la longueur des bras, des jambes, le tour de la taille, et même la longueur des pieds. Une fois les nombres pris en note dans un petit carnet, elle précisa avant de s'esquiver :
— Allez vous dévêtir derrière le rideau, je vais vous passer un grand sac pour mettre ce que vous portez. Je commence par vous apporter des sous-vêtements.
Un moment plus tard, à toute vitesse comme pour éviter des regards indiscrets, Elisabeth revêtait un pantalon de coton noué à la taille et au bas des cuisses par un ruban rose, une brassière et un jupon du même tissu. Quand la jeune vendeuse écarta le rideau afin de jeter un coup d'œil, elle put juger que le tout convenait parfaitement. Elle disparut encore, puis revint les bras chargés.
— Il vous faut au moins quatre paires de bas. J'ai pris deux jupes. Essayez la bleue, pour voir si elle est à votre taille.
Alors que la jeune femme enfilait le vêtement, l'autre demanda, curieuse:
—Vous allez vous occuper des enfants du patron ? Ils sont un peu âgés pour nécessiter les services d'une gouvernante.
—Il veut que je leur
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