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Faubourg Saint-Roch

Titel: Faubourg Saint-Roch Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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dessus, bras dessous. Les religieuses, attentives au danger des amitiés particulières, feraient en sorte de séparer celles qui se promèneraient trop régulièrement ensemble.
    Des murs hauts de dix pieds protégeaient ce petit univers du monde extérieur. Très vite, Elisabeth s'était imaginé que ce serait son havre de paix, pour le restant de ses jours. Sans famille, les bonnes religieuses deviendraient la sienne. Une vie calme, toute de piété et de murmures, consacrée à Dieu, qui se terminerait par sa mort pleurée par ses sœurs. Ensuite, pendant des générations, des élèves viendraient se recueillir sur sa tombe, creusée dans un coin de cette cour, comme elle-même l'avait fait sur les sépultures de ses devancières.
    Pourtant, après trois ans en ces lieux, elle partait dans la plus absolue discrétion. De cette famille nouvelle, idéalisée, aucun membre ne la pressait dans ses bras ni ne lui faisait un petit signe de la main. Ses épaules frémirent. Après avoir pris une grande respiration, elle se dirigea vers la lourde porte.
    Dix minutes plus tard, debout près du grand monastère de pierres grises, l'homme vit la jeune fille sortir de l'édifice à contrecœur, les yeux enflés, les joues un peu barbouillées de larmes. Au prix d'un effort surhumain, elle arrivait à réprimer ses sanglots devant cet inconnu. De la main droite, elle tenait un minuscule baluchon.
    —    Ce sont vos seuls bagages ? questionna-t-il.
    —    Je n'ai rien d'autre.
    Une pointe de honte marquait sa voix. Normalement, une jeune fille arrivait au couvent avec un jeu complet de vêtements. Celle-là n'entrait plus dans ceux qu'elle portait, et personne ne lui en avait offert d'autres. Sa fortune se résumait à l'uniforme trop petit que les religieuses lui faisaient la charité de lui abandonner, quelques mouchoirs, deux ouvrages pieux et un missel reçus du vieux curé de sa paroisse, un peigne et deux rubans. Le petit chapeau qu'elle portait sur la tête paraissait si ridicule qu'il devait venir d'une camarade de classe cachant, sous l'apparence d'un geste charitable, un sens de l'humour cruel.
    —    Allez, montez, fit l'homme en lui ouvrant la porte du fiacre et en tendant la main pour l'aider.
    Elisabeth hésita un moment, se résolut à prendre la main offerte afin de grimper dans la voiture. Thomas Picard remarqua un trou dans les gants de sa nouvelle employée. Avant de prendre place à côté d'elle, il dit à l'intention du cocher :
    —    Avant de rentrer à la maison, nous ferons un crochet par le magasin.
    —    Pas trop tôt. Il y a une heure que je me gèle le cul.
    —    Tu préférerais décharger de la marchandise ? Et puis tu te chauffes plutôt au soleil.
    Un moment plus tard, le commerçant prenait place sur la banquette du fiacre, aux côtés de la jeune fille, alors que le gros homme faisait claquer son fouet. Plutôt que de s'engager dans la rue du Parloir, toute proche, la voiture emprunta la rue Donnacona jusqu'à la rue Desjardins.
    Alors que le pas du cheval claquait sur les pavés, Thomas Picard demanda à sa passagère:
    —    Cette histoire de bourse, cela rime à quoi ?
    —    Mes parents sont morts. Je suis venue au couvent grâce à une bourse du Département de l'instruction publique. Comme j'ai terminé le cours normal depuis quelques mois, je n'y avais plus droit.
    —    Ce cours, c'est pour devenir institutrice. Pourquoi n'êtes-vous pas allée enseigner?
    —Je veux devenir religieuse, affirma-t-elle d'un ton buté.
    Cela, son nouvel employeur l'avait déjà compris. Autant changer de sujet pour éviter les jérémiades.
    —    Vous ne désirez pas savoir combien je vous paierai pour vous occuper de mes enfants ?
    —Je souhaite faire vœu de pauvreté.
    «Petite niaise», songea l'homme. Pendant quelques instants, le silence s'installa entre eux. À la fin, la jeune fille reprit d'une voix timide :
    —    Combien ?
    —    Quatre-vingts dollars pour l'année, nourrie, logée, blanchie... Cependant, je retrancherai le prix de vêtements décents, ajouta l'homme après une pause, le temps de la détailler des pieds à la tête.
    Un certain dépit pointait dans la voix de Picard. Cet uniforme usé de couventine, tellement porté que le tissu luisait par endroits, ne l'avantageait guère. Surtout, quoique la jeune fille fut plutôt frêle, ses formes menaçaient de faire éclater les coutures du vêtement. Cela lui donnait un air si

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