Faubourg Saint-Roch
doigts, Elisabeth reconnut un petit livre écorné pour avoir été trop souvent feuilleté: l'imitation de Jésus-Christ. Ses cheveux d'un blond éteint paraissaient secs et cassants. Malgré l'heure, sur sa chemise de nuit, elle portait un peignoir de velours bleu soigneusement attaché à la taille.
—Je te rappelle que c'était ton idée! rétorqua l'homme, une pointe d'impatience dans la voix.
— Je sais, je sais.
— Tu n'es pas vraiment en mesure de t'occuper des enfants, et Joséphine...
— C'est bon... Je suis fatiguée, admit la malade pour mettre fin à l'échange.
Alice Picard ferma les yeux, comme si le sommeil s'emparait d'elle. Son mari ouvrit la bouche pour parler, s'arrêta en laissant échapper un long soupir. Après une pause, il recommença
— Comme prévu, demain tu te joindras à nous pour le dîner ?
— ... Oui, si tu y tiens.
— Ma mère et mon frère seront là.
— Si je le peux, je descendrai.
La jeune femme avait murmuré, sans ouvrir les yeux. Le rose montait aux joues de son époux, pas seulement à cause de la chaleur étouffante. Après une nouvelle hésitation, il résolut de quitter la chambre. Elisabeth fit de même et au moment de sortir de la pièce, elle se tourna pour murmurer d'une voix timide :
— Au revoir, Madame.
Aucune réponse ne lui parvint de la forme affalée dans le fauteuil. Dans le couloir, Thomas Picard demeura un moment hésitant, puis il dit :
— Je vais vous présenter aux enfants.
Successivement, il ouvrit les portes de deux chambres, qui se révélèrent vides.
— Ils sont dans le grenier, je suppose. Passez devant moi.
Elisabeth Trudel s'engagea dans un escalier étroit qui conduisait sous les combles de la maison, soulevant sa jupe et son jupon pour ne pas s'accrocher les pieds. Derrière, Thomas, appréciant la rondeur du jeune postérieur qui ondulait à la hauteur de ses yeux, se força à baisser le regard. Ce fut pour apercevoir les fines chevilles enfermées dans des bottines de cuir souple.
L'escalier conduisait dans une grande pièce qui occupait tout le dernier étage de la maison. A gauche et à droite, les murs s'inclinaient en suivant la pente du toit. A chacune des extrémités, un œil-de-bœuf permettait à la lumière d'entrer.
À peine atteignaient-ils le palier qu'un jeune garçon se précipitait vers Thomas en criant d'un ton joyeux:
— Papa, papa !
Il tendait les bras afin de se faire prendre. Le père, un peu gêné, le souleva du sol pour le poser sur sa hanche. Une petite fille s'approcha aussi, plus timide, consciente d'une présence inconnue.
— Mademoiselle Trudel, je vous présente ce jeune homme, Edouard.
Le garçon n'avait pas détaché ses yeux de la nouvelle venue. Après une courte hésitation, il se retourna à demi en tendant de nouveau les bras. Le mouvement se montrait à la fois si spontané et affectueux que la jeune femme le prit contre elle à son tour.
— Et cette adorable jeune personne est ma fille, Eugénie.
Elle demeurait devant eux, un peu interdite. A la fin, Elisabeth choisit de s'accroupir, posant le garçon sur le sol pour tendre sa main gantée de dentelle vers la fillette en disant:
— Je suis très heureuse de te connaître, Eugénie. Tu as un joli prénom, celui de l'impératrice française. Un joli prénom pour une jolie jeune fille.
A la fin, la gamine prit la main tendue. Tout de suite, le garçon tendit la sienne, afin de ne pas être en reste et d'échanger, lui aussi, un salut de grande personne.
— Quel âge as-tu ? questionna Elisabeth en gardant ses yeux dans ceux de la petite fille.
— Sept ans, Madame.
— Mademoiselle, précisa la jeune femme en riant. Je ne suis pas mariée. Et ton frère ?
— Cinq ans.
Désireux de confirmer l'information, celui-ci tendait la main, cinq doigts levés. Elisabeth se releva au moment où son employeur expliquait:
— J'ai pensé que cet espace serait parfait pour les leçons. J'ai fait monter ces quelques meubles...
De la main, il désignait deux tables basses, parfaites pour des enfants encore petits, et un bureau étroit adapté à la taille d'une préceptrice. Elisabeth s'approcha, examina une boîte où se trouvaient quelques jouets de bois, ainsi que des blocs dont trois faces portaient le dessin d'un animal, et l'autre la première lettre du nom de celui-ci. Elle en prit un représentant un chat
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