Fausta Vaincue
faim.
– Monsieur le chevalier, je tombe de sommeil, fit la pauvre servante. Pardaillan regarda la fille de travers. Mais ayant constaté que vraiment elle ne mentait pas :
– Eh bien, fit-il en souriant, va dormir, va. Seulement, dis-moi, mon lit est-il prêt ?
– Vous n’avez qu’à vous glisser dans les draps, monsieur le chevalier.
– Fort bien. Maintenant, écoute : te charges-tu de me réveiller à six heures du matin ?
– Oui-da, puisque je me lève à cinq.
– Bravo ! Va donc dormir. Seulement si tu oublies de me réveiller, non seulement je te fais chasser par dame Huguette, mais je te coupe les cheveux, ras comme à une nonne, en sorte que ton amoureux, si tu en as un, te tournera le dos, et que si tu n’en as pas…
– J’en ai un ! s’écria la fille en riant. Mais soyez tranquille, monsieur, on sait assez les honneurs qui vous sont dus dans cette maison où vous êtes plus maître que la maîtresse…
Sur ces mots, la malicieuse servante se sauva, laissant Pardaillan presque mécontent de sa générosité.
– Ca m’apprendra grommela-t-il, à avoir pitié du sommeil d’une maritorne… Pauvre Huguette !… Voilà sa réputation en péril… Et pourtant !… Mais je vais enrager de faim et de soif…
Et le chevalier, pénétrant dans la cuisine, alluma deux flambeaux ; puis il se défit de son épée, ôta son pourpoint et sa casaque de cuir. Puis, comme il connaissait admirablement la maison, il descendit à la cave et en remonta avec deux bouteilles. Alors, il alla au bûcher et en revint avec un fagot qu’il jeta dans l’âtre et auquel il mit le feu. La flamme pétilla. Et dans les yeux de Pardaillan pétillait aussi une flamme de bonté, de bonne humeur et d’ironie.
– Si monseigneur le duc de Guise, si Fausta, Bussi-Leclerc, et Maineville… tous ceux qui courent et ont couru après moi pour me tuer, qui n’ont pas assez de pistolets, de rapières, de dagues et d’arquebuses pour me faire la chasse, qui mettent une armée sur pied pour me prendre mort ou vif, s’ils me voyaient, dis-je, en bras de chemise, allumant le feu et me préparant à faire sauter une omelette… j’entends d’ici leur éclat de rire… s’ils me voyaient saisir le manche de cet admirable poêlon, et remplir en toute conscience, je m’en vante, le rôle d’un bon cuisinier… oui, quel éclat de rire !…
Et Pardaillan, son poêlon à la main, se mit à rire… A ce moment, derrière lui, comme un écho éclata un autre rire…
– Hein ! s’écria Pardaillan qui se retourna prêt à sauter sur son épée. Mais il se rassura aussitôt. Le rire était sonore, frais et clair. Et il ne pouvait sortir que d’une bouche jeune et amie… En effet, c’était Huguette qui, arrêtée sur le seuil de la cuisine, contemplait le chevalier en riant de tout son cœur…
– Je renverrai Gillette, dit-elle en s’avançant et en arrachant le poêlon des mains de Pardaillan.
– Ma chère amie, dit Pardaillan, c’est moi qu’il faut renvoyer en ce cas. Car c’est moi qui ai forcé la pauvre fille à aller dormir, dans la crainte que, à demi sommeillante comme elle était, elle ne laissât brûler l’omelette. Mais laissez-moi faire, et vous verrez…
– Asseyez-vous, dit Huguette. Ici, c’est moi qui commande.
En un tour de main, Huguette eut mis le couvert sur une petite table qu’elle approcha de la grande flambée de l’âtre. Quelques minutes plus tard, Pardaillan, avec ce bel appétit qu’il avait aussi robuste qu’à vingt ans, attaquait l’omelette que lui servait Huguette, et vidait le verre que la bonne hôtesse venait de lui remplir à ras bord.
Ce fut un dîner complet. Un des meilleurs qu’eût jamais fait Pardaillan, qui en avait fait de si bons dans sa vie. La cuisine était toute claire de la flambée. Le repas était succulent. Le vin exquis. Sous la table ronflait Pipeau, le vieux chien de Pardaillan. L’hôtesse, en jupe courte, allait et venait, souriante… Jamais Pardaillan n’avait senti un tel bien-être l’envahir peu à peu…
Huguette le contemplait en souriant. Et certes, ce regard était à ce moment plutôt celui d’une amie, d’une sœur, que d’une amante. Huguette avait bien pu, dans une terrible circonstance, laisser échapper le secret de son amour. Mais le calme revenu, la paix solidement établie pour longtemps, du moins cela lui semblait ainsi, elle redevenait ce qu’elle était en réalité, c’est-à-dire la
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