Fidel Castro une vie
embrouillés et, surtout, ils varient d’une fois à l’autre. L’explication de ce petit mystère-ci pourrait être que Castro, fils de riches, doit tout de même montrer à la face de l’histoire qu’il a « connu la pauvreté et souffert de la faim ». En outre, ce garçon doué n’a certes pas eu une scolarité éblouissante – à cause de sa mauvaise préceptrice, qui lui a fait perdre trois années ! Mais à cette période remontent également les quelques mots de français qu’il a retenus et cités au directeur du
Monde diplomatique
, Ignacio Ramonet : « Bonjour, bonsoir, fourchette, merci… » (« Liberté, égalité, fraternité » remontent à une époque plus récente : celle de ses lectures boulimiques.)
Fidel finit, à plus de huit ans, par entrer au cours préparatoire de l’école des Frères La Salle, chez les maristes, une institution cotée de Santiago. Il est possible que ce soit à ce moment qu’Ángel, devenu veuf, ait régularisé sa situation avec Lina : on n’entrait pas dans une « bonne école » sans garanties de moralité ! Le jeune garçon restera pensionnaire « chez les Frères » durant trois ans, jusqu’en septième – après avoir, assure-t-il, « sauté » sa huitième en raison de bonnes notes. Mais, à la fin de 1937, Fidel s’emporte contre un répétiteur qui l’a frappé : il le mord. Il est vrai que le nom de l’établissement, La Salle, laisse percer un esprit « Frères des Écoles chrétiennes », dits « Frères quatre bras », notamment pour leur propension bien connue à ne pas ménager les élèves. Les maristes renvoient Fidel. Ils tentent même, assure celui-ci, de persuader ses parents qu’il vaut mieux mettre un terme à sa scolarité. C’est là sans doute qu’intervient la vive discussion avec le père, magnifiée par Matthews. Il est alors décidé, Lina aidant, non pas à mettre Fidel « au cul des vaches » mais à le changer d’école : le garçon ira au collège Dolores, chez les jésuites, à Santiago.
Il est très improbable que les disciples d’Ignace de Loyola aient accepté sans bénéfice d’inventaire un garnement qui venait d’être renvoyé d’un établissement religieux, de la même ville de surcroît. C’est là sans doute qu’intervient le « coup de pouce » du père Pérez Serántes dont fait mention l’AméricainHugh Thomas. Enrique Pérez Serántes, qui allait devenir archevêque de Santiago, était un proche du père Castro – non pas comme directeur de conscience, mais en tant que Galicien. Ce coup de main pourrait avoir été double. Témoin de moralité pour les Castro, l’ecclésiastique aurait également arrangé un problème ennuyeux : l’âge de Fidel. C’est Lionel Martín qui nous met sur la voie. L’Américain Martín, qui a vécu à Cuba à partir de 1961, n’est pas suspect d’antipathie pour le chef de la Révolution. Or, il révèle que l’état civil du jeune garçon a été « retouché ». On a retardé d’une année sa date de naissance afin qu’il puisse être admis dans le secondaire, a précisé le frère aîné, Ramón. « Né » désormais en 1927 au lieu de 1926, Fidel se retrouve alors en septième à onze ans et demi au lieu de douze ans et demi. Mais Castro, à soixante ans, a voulu récupérer son état civil. Il n’entendait pas, cependant, avouer les tricheries du passé. Une seule solution dès lors : retrouver « quelque part » cette tranche de vie manquante – entre le 13 août 1926 et le 13 août 1927 ! Il faut faire « sauter » une année : ce sera cette huitième que Fidel déclare à
Frei
Betto n’avoir pas eu à faire « en raison de ses bonnes notes ». L’incident est dérisoire. Il ne mériterait pas mention s’il ne montrait que, Castro, contrairement à une légende complaisante, a un vif souci de son image.
Le collège Dolores de Santiago provoque l’éblouissement de Fidel. Non seulement ce sont de bons profs, ces « Jèses », mais ce sont aussi des hommes qui ont à cœur de « former les caractères ». « Quand ils observaient chez un élève des traits qui leur plaisaient, dit-il, l’esprit de risque, de sacrifice, d’effort, ils cherchaient à l’encourager, et non à le transformer en un efféminé. » Élément séduisant pour ce garçon qui, à douze ans, avec sa carcasse déjà impressionnante, a besoin de dépenser une énergie folle. Il y avait chez les jésuites quelque chose de « spartiate » et même de « militaire », accordé
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