Fidel Castro une vie
chimie. Souvent distrait : en classe, il est déjà sur la cendrée. Il ne travaille pas beaucoup, juste ce qu’il faut, avec ce coup de collier que peuvent donner les natures puissantes lorsque c’est urgent, à la veille des examens par exemple. « Réussir, c’était une question d’honneur », a-t-il expliqué. Castro est, en outre, servi par une mémoire prodigieuse, qu’il cultivera sa vie durant. Enfin, il a besoin de peu de sommeil, ce qui, dans les périodes tendues, est un énorme atout.
Il bénéficie aussi d’une capacité à attirer. Son excellence dans le prestigieux domaine du sport n’y est pas pour rien. Mais il y a, surtout, cette aspiration au premier rôle, lors des sorties scout, en récré… Fidel s’impose toujours, au point qu’on dit de lui : « Il est épuisant. » Mais lui ne se rend pas compte qu’il fatigue, et revient à la charge. C’est aussi un orateur né. Tout incident – dans la cour, sur le stade… – lui est occasion de prendre la parole. Et de ne pas la rendre.
Jugement inscrit au répertoire de Belén en juin 1945, juste avant son départ pour l’université : « Il a su gagner l’admiration et l’affection de tous. Il est d’une bonne étoffe, et un tempérament d’acteur ne lui fait pas défaut. » Les jésuites espagnols ducollège de La Havane n’avaient pas les yeux dans leur poche ! Fidel, le bon élève toujours porté aux excès, serait-il éventuellement prêt à encore « défendre le drapeau de l’école » une fois qu’il l’aurait quittée ? Autrement dit à s’enrôler sous la bannière des « Blancs », de la « réaction » ? C’est, rapporte Lionel Martín, ce que crut d’abord un jeune communiste qui le vit arriver à l’université à l’automne 1945 et qui allait devenir son ami à la vie à la mort : Alfredo Guevara (homonyme du « Che »). Mais on peut croire l’interlocuteur de
Frei
Betto lorsqu’il affirme que ni les prières, ni les retraites spirituelles, ni le silence, ni le jeûne n’étaient son univers. « Toute cette philosophie éveillait surtout en nous un terrible appétit », explique-t-il, pour une fois presque rabelaisien. « Je n’ai jamais eu de convictions religieuses », répète-t-il. Et cela ne sonne pas faux. Castro n’est pas un esprit métaphysique. Si la religion l’intéresse bel et bien, c’est seulement comme « levier social ».
Le jeune homme avait-il des inclinations politiques ? De politique, il semblerait n’avoir jamais entendu parler ! En 1933, une révolution a renversé le tyran Machado. Âgé de sept ans, Fidel a vu des cortèges défiler à Santiago. La nuit, il était parfois « réveillé par l’explosion de bombes ». Il ne cherche pas à faire croire que cela l’ait frappé. Il est vraisemblable que sa perception sociale ait été influencée par le peu d’entrain de ses camarades à le recevoir chez eux le week-end – alors qu’il n’avait pas de parents, pas de « correspondant » à La Havane. C’est la thèse d’Enrique Ovares, un de ses ex-compagnons d’études exilé à Miami (tout comme l’Institut jésuite de Belén…). Tous savaient que c’était grâce à Fidel que l’école gagnait les championnats de basket ; et pourtant il n’était pas convenable pour les fils d’oligarques d’inviter le « péquenot ». Être populaire n’est pas nécessairement être reconnu…
Les seuls initiateurs politiques de Castro auront donc été… les jésuites. Ceux-ci, espagnols pour la plupart, étaient franquistes. Le jeune homme en gardera quelque chose, même s’il a retourné certains arguments comme un doigt de gant. Manichéisme, populisme, antiaméricanisme : ces attitudes ou thèmes devenus « castristes » étaient au cœur de l’enseignement des bons pères. Et quel effet lui produisait leur anticommunismeviscéral ? « Je me consacrais au sport et je ne m’occupais pas beaucoup de ces choses-là. »
La Seconde Guerre mondiale, qui a duré le temps de son lycée, s’achève juste avant son entrée à l’université. Il n’en a perçu qu’un « bruit lointain, assourdi… » (rapporté par Arthur Comte). Ce drame des peuples, soixante-cinq millions de morts, les camps, les fours crématoires, les bombes d’Hiroshima et Nagasaki : rien de cela n’est dans son arrière-plan mental.
Observons qu’à dix-neuf ans Castro a déjà vécu plus de dix ans loin de chez lui : quatorze exactement, à Santiago et La Havane – dont il faut retrancher les
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