Fidel Castro une vie
villes, améliorer la condition des plus mal lotis : ces 20 % de citoyens que le vif développement du pays, alors, laissait pour compte. Le tout, disait-il, dans le cadre de la Constitution démocratique qu’avait approuvée le peuple en 1940. On sait bien aujourd’hui ce qui fut tenu et ce qui ne le fut pas.
C’est que Castro s’est aussi confronté à son environnement : les États-Unis. On ne plaisante pas avec la dignité des Cubains, allait-il montrer à ces «
Yanquis
» qui, depuis un demi-siècle, avaient fait de son île une semi-colonie et, depuis peu, leur tripot, voire le QG de leur pègre et même leur bordel ! Et, afin de conforter ses arrières, mais également par goût du panache et du risque, il a décidé d’aider à s’épanouir les élans révolutionnaires d’une Amérique latine qu’il eût vue castriste elle aussi.
Fidel se sera donc inséré dans la situation planétaire avec une étonnante maestria, si l’on songe au poids de son pays : six millions d’habitants à l’époque, onze et demi à présent. Il a joué de l’antagonisme entre les deux que l’on disait « super-grands ». Il s’y sera forgé l’image flatteuse du David défiant le Goliath américain. Par lui, l’Union soviétique allait trouver à sortir de son glacis eurasiatique. Et de fait, il aura contraint les États-Unis à regarder leurs voisins
latinos
au-delà de leurs intérêts les plus triviaux.
Fidel Castro se fera connaître de la planète entière d’abord en 1961, lorsqu’il repoussa un débarquement d’exilés cubains financé par la CIA. Puis en octobre 1962, quand une partie de poker nucléaire qu’il avait engagée en accueillant des fusées soviétiques dans son pays terrifia le monde treize journées durant. Il aura également tenté, dans la première moitié des années 1960, de profiter de la rivalité croissante entre Moscou et Pékin, les deux Mecque du communisme mondial. L’organisation à La Havane, en janvier 1966, d’une conférence dite « tricontinentale », rendez-vous d’activistes du monde entier, sera le point d’orgue d’une tentative d’ériger son pays en troisième pôle de la Révolution mondiale.
Comme tant d’autres entreprises initiées par Castro, celle-ci fera long feu. Toutefois, elle hantera longtemps l’Amérique latine. Lancée dès 1960, l’aide de Cuba aux guérillas du sous-continent ne cessera pas durant près d’une décennie. Le symbole en sera Guevara. Fait président de la Banque centrale puis ministre de l’Industrie, il avait dû, en désaccord avec Fidel, quitter l’île. Sa mort en Bolivie, en 1967, en a fait un modèle pour les révolutionnaires ; et, de fait, son aura est aujourd’hui supérieure à celle de Castro (car « les dieux font mourir jeunes ceux qu’ils aiment », leur évitant la salissure du pouvoir ?). Mais ces entreprises
guerilleras
seront aussi l’occasion pour les généraux
latinos
de mener, avec l’aveu de Washington, certaines des répressions les plus sanglantes de la région. Il faudra attendre plus de vingt ans après la mort du « guérillero héroïque » pour que, redimensionnée à l’Amérique centrale et caraïbe (le Nicaragua, Grenade), d’autres révolutions d’inspiration castriste triomphent – provisoirement.
Devenu, dans les semaines suivant son entrée à La Havane, l’omnipotent et touche-à-tout chef du gouvernement, Fidel aura présidé à une immense réorganisation/désorganisation de l’économie. En réponse à quoi la Révolution a dû se « soviétiser », mettant en œuvre des plans quinquennaux et rejoignant le bloc socialiste (Comecon) en 1972. Cependant, l’aide considérable de Moscou (principalement sous forme de livraisons de pétrole bon marché) allait anesthésier le pays. Elle l’a dispensé de presque tout effort de production, sinon pour ce qui est, un temps, du sucre, son apport à la « division internationale socialiste du travail ». Cuba s’est abandonnée à l’euphorie d’« acquis de la Révolution » largement payés par une Union soviétique dont peu encore percevaient le déclin. En échange, Fidel a, non sans succès, joué le rôle d’un valet d’armes de Moscou en Afrique. En 1975, il a engagé l’armée cubaine, professionnalisée et équipée « à la soviétique » sous l’égide de son frère Raúl, devenu son adjoint en tout et déjà successeur désigné, sur des théâtres lointains : en Angola puis en Éthiopie. Seule la logistique
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