Fiora et le Magnifique
tous la vérité de sa naissance ?
Vous vous feriez écharper sur place..,
– Peut-être,
mais vous ne vous en relèveriez pas. Vous seriez obligé de l’enfermer dans un
couvent. Mieux vaut accepter, messire Beltrami, et vous le savez bien. Vous
êtes sûr ainsi qu’elle ne vous quittera jamais. Cela doit avoir du prix à vos
yeux...
Francesco
se sentit rougir. Cet homme avait touché du doigt le point sensible, cette
répugnance qu’il avait à l’idée de voir, un jour, son enfant bien-aimée s’en
aller loin de lui peut-être, au bras d’un époux qui ne saurait jamais l’aimer
comme l’aimait son père... Il savait déjà que le chevalier bourguignon avait
gagné mais il ne voulait pas encore venir à composition :
– C’est
un terrible amour que le vôtre, seigneur comte ! Je n’ai aucune raison de
supposer que ma fille pourrait s’en accommoder. Et je ne la contraindrai
jamais...
– Pourquoi
ne pas le lui demander ? Si elle accepte...
– Alors
moi aussi j’accepterai, dit Beltrami gravement, mais sachez que vous serez lié
par un engagement qu’il vous sera impossible de rompre au cas où... plus tard,
vous changeriez d’avis.
– Voilà
le marchand qui reparaît ! fit Selongey avec un sourire de dédain. Je n’ai
qu’une parole, sachez-le, messire Beltrami. Jamais je ne l’ai reprise une fois
donnée...
– En
ce cas, allons chez moi !
Côte à
côte, ils marchèrent par les rues, Philippe tenant en bride le cheval qu’il
avait laissé à la porte de la maison de commerce. Jamais il n’avait autant
marché que depuis son arrivée à Florence, les gens de cette ville semblant
préférer la marche à tout autre moyen de locomotion. Il est vrai que les rues,
pavées en leur milieu avec un ruisseau de chaque côté, demeuraient propres la
plupart du temps mais il était curieux de voir les hauts hommes de la cité s’y
déplacer sans plus de décorum que les gens du petit peuple. Cela devait tenir
surtout à ce goût extrême qu’ils avaient tous pour la conversation. On ne
devait jamais être sûr du temps que l’on mettrait pour aller d’un point à un
autre car on ne savait jamais quelle personnes on rencontrerait et le nombre de
minutes qu’on leur consacrerait.
Entre
le Mercato Nuovo et le palais des bords de l’Arno, le Bourguignon entendit,
plus de vingt fois, des passants saluer son compagnon.
– La
bonne nuit à toi, messer Francesco ! Dieu te garde et te maintienne en
prospérité ! – Salut à messer Beltrami et à tout ce qu’il aime ! ...
Les formules étaient diverses mais toutes reflétaient le respect, voire l’affection.
– Je
ne vous savais pas si populaire, remarqua Selongey, mais comment se fait-il que
tout le monde se tutoie ici ?
– Se
disait-on vous à Rome ? Le latin ignore le vouvoiement et le latin demeure
ici la langue des poètes et des savants. Notre langue vulgaire n’est qu’un
dérivé du latin, comme la langue française d’ailleurs et monseigneur Lorenzo
qui s’est mis à poétiser en toscan s’efforce de lui donner ses lettres de
noblesse. Il ne fait aucun doute qu’il y réussira car c’est un grand artiste en
toutes choses...
– L’est-il
aussi en politique ? J’en doute. C’est faute grave qu’opposer un refus au
tout-puissant duc de Bourgogne...
– Je
ne voudrais pas vous faire de peine, messire de Selongey, mais ce serait plus
grande faute encore que rompre l’alliance avec le roi Louis de France qui est
peut-être le plus fin politique de son temps !
– Ce
piètre sire ? fit dédaigneusement le comte. Ce n’est pas un chevalier.
– Quand
on a charge d’un royaume qui, durant cent ans, a connu l’occupation anglaise,
il vaut mieux être un grand diplomate qu’un chevalier sans reproche. Le roi
Louis
n’est pas sans courage. Il l’a montré en maintes occasions.
– Je
vois que vous l’admirez fort. Puis-je vous conseiller, ... en futur gendre, de
changer vos amitiés quand il en est temps encore ? En juillet dernier, le
roi Edouard IV d’Angleterre a signé avec le duc Charles un traité par lequel l’Anglais
s’engage à revenir en France avec une armée cependant que la Bourgogne viendra
se joindre à lui avec dix mille hommes avant le 1 er juillet
prochain. Messire Louis sera balayé et Edouard sera couronné roi de France à
Reims comme le veut la raison.
– Mais
non l’Histoire ! Votre maître laisserait l’Anglais coiffer la couronne de
Saint Louis dont
Weitere Kostenlose Bücher