Fiora et le Magnifique
n’était pas seule.
– C’est
aussi donna Chiara qui vous a enseigné cela ? fit Léonarde de plus en plus
sidérée.
– Non,
dit Fiora en souriant ingénument à son doux souvenir. C’est seulement ce que je
crois.
Pendant
ce temps, dans une grosse maison occupant l’angle de la via Calimala et du
Mercato Nuovo, une scène étrange se jouait au premier étage, dans la grande
pièce sévèrement lambrissée de chêne sombre d’où Francesco Beltrami dirigeait
ses nombreuses et importantes affaires ; une de ces scènes où le frein de
la courtoisie retient la violence des sentiments et ne lui permet qu’à peine de
se traduire en paroles. Assis sur un siège de cuir à haut dossier derrière sa
longue table éclairée par un chandelier de bronze à six branches, le négociant
affrontait Philippe de Selongey qui, les bras croisés sur la poitrine, se
tenait debout simplement adossé à une armoire.
Les
deux hommes s’observaient comme des duellistes, les yeux de l’un, dorés par le
reflet des flammes, plongés dans ceux de l’autre, sombres et soucieux. Et,
depuis un moment, le silence régnait, coupé de loin en loin par le roulement d’une
charrette, le pas d’un cheval ou les cris des enfants qui jouaient sur la
place... Beltrami semblait écouter mourir en lui-même l’écho des dernières
paroles du chevalier bourguignon. Enfin, avec un soupir, il se leva et se
dirigea vers la cheminée de pierre grise et s’y chauffa les mains, les frottant
doucement comme s’il les lavait au-dessus des flammes...
– C’est
une curieuse histoire que vous m’avez contée là, seigneur comte, dit-il
doucement, et nous autres gens de Florence aimons à entendre de beaux récits...
mais je ne vois pas en quoi elle me concerne.
– Elle
vous concerne au premier chef : c’est écrit clairement dans les traits du visage
de votre fille.
– Veuillez
laisser ma fille en dehors de cet entretien ! Il a commencé, si je me
souviens bien par... l’embarras où vous vous trouviez de rejoindre monseigneur
de Bourgogne sans le prêt d’argent qu’il sollicitait...
– Monseigneur
Charles ne sollicite jamais ! gronda Selongey.
– Pardonnez-moi
ce mot qui manque, en effet, aux lois élémentaires de la diplomatie ! Disons :
qu’il souhaitait obtenir de la banque Médicis pour lever en Italie des troupes
mercenaires. Prêt que monseigneur Lorenzo a dû refuser par loyauté envers le
roi Louis de France avec qui, dès longtemps, sa famille a conclu alliance. Et
vous souhaitiez établir avec moi un accord analogue. J’ai dû alors vous
rappeler que je ne dirige pas, moi, une grande maison de banque et...
– Vous
ne m’abuserez pas, Beltrami ! Vous êtes aussi banquier, comme vous êtes aussi armateur. Pour être moins voyante, votre fortune est peut-être aussi
grande que celle des Médicis. Mais nous avons réglé cette question et je ne
vois pas pourquoi vous y revenez. Attachons-nous plutôt à cette histoire déjà
ancienne que j’ai eu l’honneur de vous raconter...
– Et
que j’ai appréciée mais que...
– Trêve
de finasseries, messire Francesco ! Elles sentent trop la boutique pour me
plaire. Répondez seulement à cette question : Étiez-vous à Dijon, il y a
un peu plus de dix-sept ans, le jour où, sur la place du Morimont, tombaient
les têtes de Jean et Marie de Brévailles ? Et songez que je fais appel à
votre honneur qu’un mensonge entacherait... un mensonge inutile.
Le visage
de Beltrami se figea jusqu’à n’être plus qu’un masque tragique derrière lequel
son esprit s’affolait. Dès l’instant où ce jeune homme était entré dans cette
maison, il avait deviné, pressenti qu’il portait avec lui le malheur. Mais il
fallait répondre...
– J’y
étais, en effet, dit-il fermement. J’ai souvent fait étape à Dijon au cours de
mes voyages vers Paris et les cités flamandes. Il se trouve que j’aime cette
ville bien que je n’y séjourne jamais longtemps. Je repars toujours le
lendemain.
– Mais
cette fois vous n’êtes pas parti seul. Vous emportiez avec vous un enfant
nouveau-né, une petite fille abandonnée. Celle que vous appelez maintenant
votre fille. Le nierez-vous ?
Une
brusque colère s’empara de Beltrami, balayant toute cette retenue qu’il s’imposait
depuis de longues minutes :
– Et
si cela était ? Je ne crois pas que cela vous regarde en quoi que ce soit !
De quoi vous mêlez-vous, à la fin, avec vos
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