Fiora et le Magnifique
filles de son temps, Fiora savait que ce n’était pas la
bénédiction nuptiale qui faisait éclore la femme mais l’union de deux corps et
que cette union, au début tout au moins, pouvait être douloureuse,
insupportable parfois quand l’acte d’amour devenait viol comme elle l’avait
entendu raconter dans les récits de saccages de Volterra et de Prato, peu de
temps auparavant, par les mercenaires de Florence. Elle ne craignait rien de
semblable de la part d’un homme qui l’aimait et auquel elle était heureuse de s’offrir
puisqu’il lui avait suffi d’un baiser pour la conquérir.
L’entrée,
silencieuse pourtant, de Léonarde, vint mettre fin à sa rêverie. La gouvernante
apportait avec elle le voile dont elle enveloppa la jeune fille, et une grande
mante noire à capuchon sous laquelle disparut la robe brillante.
– C’est
l’heure ! dit-elle. Venez ! On nous attend... Puis, brusquement, elle
saisit Fiora aux épaules et l’embrassa avec une grande tendresse.
– J’espère
que vous serez heureuse, mon agneau, et surtout que vous le serez longtemps.
– Je
n’ai jamais été aussi heureuse ! murmura Fiora, sincère. Messire Philippe
n’a-t-il pas tout ce qu’il faut pour assurer ce bonheur ?
– Certes,
mais c’est un soldat et cela ne simplifie pas les choses. Vous aurez à subir de
longues absences...
– Les
retours n’en seront que plus merveilleux ! Allons, à présent, puisque l’on
nous attend.
Léonarde
ne répondit pas, se contentant d’ouvrir la porte devant cette enfant qu’elle
croyait si bien connaître et qui semblait changer d’instant en instant. Ce
mariage, décidément, lui plaisait de moins en moins mais elle se savait
impuissante à freiner la roue du destin si brusquement mise en marche.
Quatre
silhouettes noires, celles de Beltrami, de Philippe, de son ami Prames et du
notaire Buenaventura attendaient sous le portique d’entrée. Quand les deux
femmes les rejoignirent, le négociant prit la main de sa fille et se dirigea
vers l’entrée des jardins plongés dans l’obscurité. Aucune lumière n’éclairait
le chemin mais la nuit n’était pas trop sombre et permettait de se déplacer
sans accidents.
Franchies
les limites de la propriété, on trouva vite le sentier qui montait au
monastère. Aucun bruit ne se faisait entendre. La campagne alentour était
silencieuse comme si elle retenait son souffle. On n’entendait ni le vol d’un
oiseau, ni l’aboiement d’un chien, ni le passage dans l’herbe d’un des nombreux
habitants des champs. Dans les amples manteaux qui les recouvraient, les six
promeneurs ressemblaient à une théorie de fantômes... Fiora, elle, se déplaçait
comme dans un rêve...
Comme
dans un rêve, elle vit s’ouvrir la porte de la petite chapelle à peine éclairée
par un gros cierge posé à terre dans un chandelier d’argent et par deux bougies
à chaque bout de la vieille pierre d’autel recouverte d’une nappe immaculée. Il
faisait sombre et froid. Aucun apparat pour cette messe nocturne, seuls les
vases sacrés étaient de précieuses pièces d’orfèvrerie et la chasuble du moine
qui allait officier plus dorée encore que la robe de la mariée.
Comme
dans un rêve, elle entendit se dérouler le rituel, elle offrit sa main au lourd
anneau d’or qu’y passa Philippe. Les paroles du prêtre et les reniflements de
Léonarde qui se laissait aller à pleurer troublaient seuls le silence où s’enveloppait
le couvent. La réalité revint avec, au sortir de l’église, le retour vers la maison
au bras de Philippe et le visage crispé de Francesco Beltrami quand, à l’instant
de monter, avec Léonarde et Khatoun, vers la chambre préparée pour la nuit de
noces, Fiora offrit son front à son baiser et à sa bénédiction... A l’instant
où sa fille le quittait pour rejoindre non son lit de jeune fille mais celui d’un
homme, Beltrami, pâle jusqu’aux lèvres, avait la figure d’un martyr dans les
tourments. Mais quelles tortures pouvaient être pires que ce qu’il éprouvait ?
A l’humiliation d’avoir dû céder à un chantage, se joignait une dévorante
jalousie. A cet instant, il avait envie de tuer cet homme trop séduisant qui n’avait
eu besoin que d’un moment pour conquérir le cœur de Fiora et qui, à présent,
avait le droit d’entrer en maître dans sa chambre et de posséder son corps.
Parce
qu’il était honnête, il se demanda si tous les pères éprouvaient cet
Weitere Kostenlose Bücher