Fiora et le Pape
l’avait
envoyé en Touraine pour apprendre ce que devenait Fiora. L’idée de ne plus rien
savoir d’elle lui était intolérable et personne mieux que Matthieu ne pouvait
mener à bien cette délicate mission : voir sans être vu, apprendre sans
que l’on devinât sa présence. L’honneur, et peut-être aussi l’orgueil,
interdisait à Selongey de se rendre lui-même auprès de sa femme comme elle lui
en avait intimé l’ordre de façon si cavalière, mais il craignait par-dessus
tout qu’elle réalisât la dernière menace qu’elle lui avait lancée : faire
annuler leur mariage, reprendre sa liberté, sa main et son cœur... peut-être
pour les donner à un autre homme. Si cela était, Philippe voulait savoir à qui
il lui faudrait lancer un défi de combat à outrance. Même loin de lui, Fiora
resterait sa femme à tout prix.
Matthieu
n’avait pas paru enchanté de la corvée :
– C’est
métier d’espion que tu m’envoies faire là ?
– Métier
d’ami serait plus juste. Je ne puis y aller moi-même car entrer en France
serait me constituer prisonnier. Louis XI sait que je ne lui rendrai jamais l’hommage
et l’occasion serait trop belle de faire de ma femme une veuve. Mais, si je
dois défendre mon bien, je saurai te rejoindre. A nous deux, nous pourrions l’enlever.
– Pourquoi
ne pas le faire dès maintenant, dans ce cas ?
– Parce
que je veux lui laisser encore un peu de temps. Parce que je veux voir ce que
vaut son amour. Pour le moment, elle ne me pardonnerait pas un coup de force.
Ronchonnant
mais convaincu, Prame était parti. Quelques jours plus tard, la duchesse Marie
envoyait Selongey à Dijon, et il n’avait jamais reçu les nouvelles tant
attendues.
– Vous
ne lisez pas ? reprocha le moine.
Philippe
tourna vers lui un sourire incertain. Son hésitation était ridicule, il le
savait bien. Elle tenait entièrement à ce qu’il avait peur de lire des mots
cruels. Matthieu n’avait rien du chroniqueur et maniait la plume comme un
apprenti moinillon. Il ne fallait pas compter sur lui pour orner d’arabesques
et de lénifiante douceur la brutalité des choses.
Rassemblant
son courage, Philippe déroula enfin le papier. Il contenait en effet peu de
mots : « Elle va bien. Il n’est plus du tout question d’annulation
car elle attend un enfant pour septembre... Pardonne-moi d’arriver si tard. Je
suis ton ami fidèle et je voudrais tant t’aider... Je suis très malheureux... »
Des
larmes montèrent aux yeux de Philippe qui ne chercha pas à les dissimuler. Il
avait mis son âme à nu devant ce petit moine ; qu’importait alors qu’il le
vît pleurer ? Comme il lisait une inquiétude dans les yeux candides, il
lui tendit le message.
– Lisez,
mon frère ! Vous comprendrez pourquoi je pleure... de joie. Que Dieu, dans
sa bonté, m’accorde un fils, car ainsi je ne mourrai pas tout à fait.
– Je
prierai pour cela, mais venez recevoir l’absolution et l’hostie car il se fait
tard et j’entends du bruit.
– Un
mot encore. Vous reverrez Matthieu sans doute. Dites-lui que je défends que l’on
apprenne mon sort à ma femme. Pas avant, tout au moins, qu’elle ne soit
délivrée. L’enfant pourrait souffrir de son chagrin... car j’espère tout de
même qu’elle en aura.
– Soyez
en paix ! Je le lui dirai. Agenouillez-vous, à présent, que je vous
pardonne au nom de Dieu tout-puissant.
Il
était temps. A peine le corps du Christ avait-il touché les lèvres du condamné
que la porte s’ouvrait, livrant passage au vieux geôlier qui introduisit un
barbier. Dès le prononcé de la sentence, en effet, Selongey avait demandé à
être rasé avant d’être conduit à l’échafaud. Il tenait à s’y montrer sous la
meilleure apparence possible.
L’opération
fut rapidement menée. Le barbier était habile et sa main légère. Il poussa même
la complaisance jusqu’à brosser soigneusement les vêtements poussiéreux du
prisonnier.
– Je
n’ai rien à te donner en paiement, dit Selongey lorsqu’il fut prêt. On ne m’a
laissé ni sou ni maille.
– N’ayez
pas de souci, messire. Je serai payé... et si je ne le suis pas c’est sans
importance. Je suis fier d’avoir pu vous rendre ce service.
– Tu
me connais donc ?
– Pas
vraiment, mais ma mère est native de Selongey. C’est grande pitié de vous voir
quitter le monde sans héritier.
Philippe
sourit et posa une main amicale sur l’épaule de ce dernier
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