Fiora et le Téméraire
lit...
– Non,
Philippe. Ne compte pas sur ma compréhension durant tout ce temps où nous avons
été éloignés l’un de l’autre, j’ai trop souffert pour accepter une nouvelle
séparation... Tu es décidément l’homme des amours brèves ! Quand tu m’as
épousée tu ne voulais de moi qu’une nuit d’amour et maintenant, après seulement
trois nuits, tu ne songes déjà qu’à repartir ? Mais je n’ai rien à faire
de ta princesse ! Elle a encore des palais, des gardes, un énorme héritage
et un fiancé impérial par-dessus le marché. Et il faudrait que, moi, j’accepte
d’aller m’enterrer dans un château perdu en compagnie d’une belle-sœur qui me
détestera sans doute, pendant que tu iras caracoler en Flandres et jouer les
preux chevaliers venus au secours de la veuve et de l’orpheline ? Eh bien
n’y compte pas ! ...
– Fiora,
s’écria Philippe, tu ne comprends pas. Mon amour pour toi qui est ardent et
profond n’est pas en jeu. Tu sais bien que toi seule comptes pour moi...
– Après
la princesse Marie !
– Non,
bien avant, mais nous devons à la mémoire de son père de tout faire pour la
sauver des dangers qui la menacent. Je ne vais pas partir demain. Mais dans
quelques jours nous irons à Selongey où je t’installerai en souveraine
maîtresse. Et il se peut que je ne sois pas longtemps absent. Je reviendrai...
– Pour
la naissance de ton premier enfant ? Eh bien non, je ne suis pas d’accord.
Emmène-moi ! ...
– C’est
impossible. Tu n’en as pas encore assez de la guerre ?
– Plus
qu’assez car je n’ignore pas qu’elle fait beaucoup plus de veuves encore qu’elle
ne fabrique de héros. Alors tu restes avec moi... ou je m’en vais !
Il se
leva d’un bond, courut à elle et voulut la prendre dans ses bras.
– Folle
que tu es, fit-il tendrement, où irais-tu ?
– Chez
moi. Agnolo Nardi, qui gère les intérêts français de la banque Beltrami,
songeait à m’acheter un domaine. Bien mieux, le roi Louis m’a fait présent d’un
château près de Plessis-lez-Tours. C’est là que je vais aller, Philippe... et c’est
là que tu viendras me chercher quand tu auras décidé d’être pour moi un époux,
un amant... enfin, autre chose qu’un courant d’air...
– Fiora !
Tes conditions sont inacceptables. Je suis bourguignon et n’ai rien à faire en
France. Jamais je n’irai ! ...
– Même
pour me reprendre ?
– Même
pour te reprendre...
– Alors,
adieu... car c’est la seule preuve d’amour que j’attends de toi.
Il
avait pâli jusqu’aux lèvres mais ses yeux dorés flambaient de colère :
– Tu
n’as pas le droit de faire cela. Tu es ma femme et tu dois m’obéir...
Elle
le considéra un instant, luttant contre l’envie de mettre un terme à cette
dispute, de se réfugier dans ses bras et de renouer avec lui le tendre duo
interrompu, mais il avait malencontreusement prononcé le mot qu’il ne fallait
pas dire : obéir !
– Mon
père lui-même qui avait tous les droits n’a jamais réclamé de moi l’obéissance.
Si être ta femme ne signifie que cela pour toi, mieux vaut nous séparer. Un
mariage peut s’annuler, je ne le sais que trop, et dussé-je aller jusqu’à Rome,
je ferai briser le nôtre... à moins que tu ne viennes à moi !
Arrachant
du lit une couverture, Fiora y blottit sa nudité et se jeta hors de la chambre
tiède en réprimant farouchement les sanglots qui montaient dans sa gorge.
Saint-Mandé, 12 août 1988.
----
[i] En 1383, après le sac de
Courtrai, le duc Philippe le Hardi avait, selon l’usage, décapité le beffroi de
la ville rebelle, en avait ôté l’horloge à deux personnages et en avait fait
don à sa ville de Dijon en remerciement de son aide militaire.
[ii] Le maire de la ville.
[iii] Pays-Bas et Flandres d’une
part et Bourgogne proprement dite de l’autre.
[iv] Verdun-sur-le-Doubs.
[v] Ancien nom du pain d’épice.
[vi] Agnolo signifie agneau.
[vii] Le Téméraire avait épousé
Marguerite d’York, sœur d’Edouard.
[viii] C’est seulement sous
Louis XIV que Paris devint archevêché. Il dépendait auparavant de l’archevêque
de Sens.
[ix] Il était bien plus royal
à cheval qu’à pied.
[x] De nos jours
Villers-Cotterêts.
[xi] Pierrefort
est encore debout en partie, mais il renferme une exploitation agricole qui ne
l’améliore pas
[xii] Le
dessin des frontières du Luxembourg, de la Lorraine et de la
Weitere Kostenlose Bücher